page suivante »
184 LA R E V U E LYONNAISE sèment de la Gaule à la domination romaine ne signifiait pas sim- plement la délivrance du joug sous lequel l'audacieux Arioviste se proposait de courber le faible pays ; il signifiait également le terme de la dure servitude qu'un clergé oppresseur et sans scru- pules, associé à une noblesse orgueilleuse et supérieure en force, faisait peser sur un peuple privé de droits. Ce que nous voyons dans l'ancienne Gaule, ce sont de grands seigneurs, princes ou fils de princes; leurs richesses en or et en argent, leurs festins prodigieux, leur innombrable clientèle d'hommes d'armes et de serviteurs, leurs métairies et leurs maisons de campagne au milieu de sombres forêts ou sur le bord des fleuves bruyants. À côté de la puissance laïque, le pouvoir sacerdotal: les druides, constitués en une vigoureuse hiérarchie sous la direction d'un prêtre suprême, gardien de lareligion et de la justice, et seul dépositaire de la science divine et humaine acquise par un dur apprentissage et conservée avec un mystère jaloux, se conciliant les dieux par des sacrifices humains, prononçant des châtiments pour les crimes, entretenant le peuple dans une crainte superstitieuse, et fulminant en haut et en bas des anathèmes dont l'effet était d'exclure de tout commerce et de tout contact, comme impurs, ceux qui en étaient frappés. Telle est la peinture que César nous fait des deux classes de la société en honneur dans toute la Gaule ; « car le peuple, ajoute- t-il, n'ose rien par lui-même, n'a aucune part à la vie publique' et est presque réduit à la condition des esclaves. » Un tel peuple, en passant sous la domination des Romains, avai'- peu à perdre et peu à regretter. Aux petits despotes se substituait un souverain devant lequel tous sans exception devaient plier les genoux ; à l'inflexible arbitraire des prêtres, les bienfaits de l'hu- maine justice romaine; aux incessantes guerres, la paix durable et féconde, la paœ romana; à la crainte des hordes germaniques, le sentiment de la sécurité sous la protection et la garde de Rome, maîtresse du monde. Pouvons-nous être étonnés que les Gaulois aient gardé une fidélité constante au souverain romain ; que même l'idée d'un empire gaulois libre, telle que momentanément elle reparut à la surface dans l'effondrement de la maison julio- claudienne, n'ait rien pu offrir de bien séduisant à un peuple dès lors habitué au travail paisible, à la prospérité et aux bienfaits de la