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93 LA REVUE LYONNAISE parle d'une famille dont le chef, homme fort taciturne, avait eu six enfants. Le premier se précipita, à quarante ans, d'un troisième étage ; le second s'étrangla à trente-cinq ans ; le troisième se jeta par une fenêtre et le quatrième se tira un coup de pistolet. Sans doute il faut tenir compte, dans l'appréciation de ces actes, de la violence exceptionnelle du penchant qui a pu incliner leurs auteurs à les accomplir ; mais il n'est pas sûr qu'ils aient été entraînés irrésis - tiblement à les commettre et qu'ils n'en soient nullement respon- sables. Autrement il faudrait aussi déclarer irresponsable un voleur, dès qu'il serait bien constaté qu'il y a déjà eu des voleurs dans sa famille. Une chose triste à dire, c'est que dans l'état actuel de notre civi- lisation, beaucoup de suicides ont encore pour cause la misère: « Quel terrible tableau, dit un médecin contemporain, que celui de ces malheureux qui avaient successivement engagé tous leurs effets "et vendu même leurs reconnaissances du Mont-de-Piété, pour prolonger de quelques heures leur lente agonie ! En entrant dans les mansardes où s'était accompli le dernier acte de cette tragédie, les officiers ministériels dont nous n'avons qu'à copier les décla- rations, ont souvent constaté qu'il ne restait plus ni meubles ni vêtements et que la paillasse même avait servi à alimenter le feu. » Outre ces causes, les unes physiques, les autres mixtes, du meurtre de soi-même, il y en a qui ont un caractère plus parti- culièrement moral : l'orgueil, la vanité, l'amour-propre, c'est-à -dire les diverses formes du désir de l'estime surexcité ; l'avarice, qui nous attache plus qu'il ne convient aux biens de fortune et nous fait prendre la vie en aversion dès que nous venons à en être privés ; l'amour proprement dit, qui nous fait vivre dans un autre être et nous fait trouver insupportable une existence passée sans lui et loin de lui; là paresse, qui engendre le suicide en engendrant la misère et aussi en faisant éclore dans l'esprit des rêveries malsaines ; l'a- mour du jeu, que l'inaction produit le plus souvent et que le besoin d'émotions transforme quelquefois en une sorte de vertige. Il faut avoir vu, dans les villes d'eaux d'Allemagne, les joueurs et les joueuses avides, rangés, leur râteau à la main, autour du tapis vert, ne connaissant plus ni parents ni amis et n'ayant des yeux que pour les lueurs fauves de l'or, pour comprendre la force de cette