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                           LE SUICIDE                               93
sombre passion. En France même, où elle est plus surveillée, elle
n'en sévit pas moins avec violence. Combien de cercles ne sont au-
jourd'hui que des maisons de jeux baptisées d'un nom honnête!
Combien de spéculations financières ne sont que des jeux à peine
déguisés, qui dévorent la fortune et l'honneur des familles et dont
le suicide est la conséquence la plus ordinaire !
   Parmi les causes du suicide, il en est qui sont du ressort de la
médecine, et contre lesquelles elle n'est pas tout à fait désarmée et
impuissante. Si elle guérit rarement la folie, une fois qu'elle est
nettement déclarée, elle la prévient, dans un grand nombre de
cas, par un régime approprié. Si elle ne guérit pas toujours l'hy-
pocondrie et la fièvre chaude, elle peut en empêcher l'éclosion et le
développement par des mesures hygiéniques bien prises et dont une
longue expérience a constaté l'efficacité. Si elle ne peut pas s'op-
poser directement aux effets du climat et de la température, elle
peut les signaler d'avance au sujet et l'empêcher de se placer dans
des conditions funestes et meurtrières. Elle trouve même, dans cet
ordre de faits, un utile auxiliaire dans la morale. Cette dernière,
en effet, prévient la folie, en prévenant les vices qui l'engendrent,
et l'hypocondrie en donnant à l'homme assez d'empire sur lui-même
pour repousser les idées noires qui lui servent d'aliment. Elle peut
même le prémunir contre les effets désastreux de la température,
 en lui inspirant cette prudence qui ne lui permet pas de s'exposer
inconsidérément au péril et qui est, comme on sait, une des vertus
 que prescrit la morale individuelle.
    Quant à la misère, qui est une des causes les plus fréquentes et
 les plus déplorables de la mort volontaire, cen'estpas à la méde-
cine, mais à la législation, ou plutôt à la politique, qu'il appartient
 d'y porter remède. La politique doit, autant que l'incurable im-
perfection des choses humaines le permet, organiser la société de
manière que le pain n'y manque à personne, et tâcher de fermer enfin
 cette plaie toujours béante du paupérisme que les progrès de l'in-
 dustrie semblent élargir sans cesse, au lieu de la cicatriser. La
 morale n'est pas plus compétente, à la vérité, pour guérir le pau-
 périsme que pour guérir la folie, mais elle peut exercer ici encore
 une influence salutaire. Quelles sont, en effet, les causes qui pro-
 duisent le plus souvent cette misère, qui produit, à son tour, le sui-