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LE SUICIDE 83 dire et faire Schopenhauer et ses pareils, le genre humain, enivré de la fureur du suicide, se précipiter tout entier dans le gouffre du néant. Mais il n'en reste pas moins vrai que cette catastrophe, envi- sagée hypothétiquement, nous apparaît comme un mal. Or, d'où cela peut-il venir, sinon de ce que chacun des actes qui la compo- serait, si elle avait lieu, serait un mal lui-même ? Preuve manifeste que le suicide est contraire à notre destinée et que c'est pour nous un devoir de nous en abstenir. Si, au lieu d'envisager le suicide en lui-même et dans les maximes qu'il suppose, nous le considérons dans les mobiles qui le déter- minent, nous aboutirons aux mêmes conséquences. Qu'on élimine, en effet, les suicides déterminés par des causes purement physiques et on verra que les autres sont presque tous déterminés parla passion ou par l'ennui de la vie, le tsedium vilse. Or qu'est-ce que la passion? C'est, comme nous l'avons déjà dit et comme le mot l'indi- que, un état où le sujet pâtit au lieu d'agir, où il reçoit l'impulsion au lieu delà donner; c'est la prédominance accidentelle de l'élé- ment passif et aveugle sur l'élément actif et éclairé de notre nature. Y céder, c'est méconnaître notre principe fondamental, qui veut que l'homme reste homme ; c'est déchoir et se dégrader. Présentons la question sous une autre face. Les causes les plus ordinaires du suicide sont les revers de fortune, les humiliations et les chagrins d'amour, ce qui revient à dire qu'il est déterminé le plus souvent par la peine attachée à la cupidité, à l'orgueil et à l'amour blessés, ou, d'une'manière plus générale, par la peine. La question de savoir si le suicide est digne ou indigne de l'homme peut donc se traduire en celle de savoir s'il y a de la force d'à me à supporter la peine et si la constance est, oui ou non-, une vertu. Or, à une telle question la réponse, à ce qu'il semble, ne saurait être douteuse. S'ôter la vie par amour est généralement un acte tou- chant, mais qui suppose, dans celui qui l'accomplit, une surexci- tation durant laquelle il perd en partie le gouvernement de lui- même et le libre usage de ses facultés. Se tuer par suite des revers de fortune qu'on a essuyés est aussi un acte peu compatible avec l'idéal humain : il suppose, en effet, un attachement immodéré aux choses qui servent à l'entretien de la vie physique et, par consé quent, l'interversion des vrais rapports qui doivent exister entre