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82            '       LA R E V U E LYONNAISE
actes d'intempérance, à diminuer notre intelligence et notre volonté :
il les anéantit, autant qu'il est possible de le faire, en même temps
qu'il anéantit notre sensibilité et notre vie physique. C'est assez
dire qu'il coupe court à notre destinée et qu'il intercepte, avec notre
vie physique, notre vie morale à laquelle elle sert de support. Or,
s'il est mal de manquer à un de nos devoirs en particulier, que
penser de l'acte qui nous met hors d'état d'accomplir nos devoirs
en général ? S'il est mal d'attenter, sur un point donné à la moralité,
que dire de l'action qui consiste à détruire en soi le sujet même
de la moralité et à extirper, suivant l'expression d'un grand philo-
sophe, la moralité du sein de l'univers?
   Pour apprécier une telle manière d'agir, il suffitde la rapprocher
du critérium moral de Kant : « Agis, dit-il, de telle façon que
la maxime d'après laquelle tu agis, puisse être appliquée à tous les
êtres raisonnables et érigée en principe de législation universelle. »
Supposons que tout le monde admette et pratique la maxime qu'il
est loisible à chacun de se tuer quand il lui en prend envie, qu'est-
ce qui en résultera? un bien ou un mal ? Un mal indubitablement,
et le plus grand qu'il soit possible d'imaginer. Si le suicide se géné-
ralisait sur ce globe, l'anéantissement de tous les êtres moraux en
serait la conséquence. Bientôt notre planète roulerait tristement dans
l'espace, pleurant, suivant l'expression du poète, l'homme dé-
truit, veuve de l'être supérieur qui lafécondait par son activité et la
transformait par son intelligence. Bientôt les forêts immenses, im-
pénétrables, refoulées avec tant de peine par les générations p a s -
sées, reprendraient possession de la terre ; bientôt les animaux
sauvages que le bras de l'homme tient maintenant à distance, vien-
draient remplir de leurs hurlements les décombres de nos villes, et
les reptiles dresseraient leurs têtes sur les monuments à demi ruinés
de nos sciences et de nos arts. Plus une seule pensée, plus un seul
acte de liberté, plus un seul sentiment de dignité sur toute la face
de ce globe ! La vie morale y serait éteinte : la vie sensitive et la vie
végétative s'y développeraient seules. Le suicide est donc contraire
à la destinée de l'homme, puisqu'il n'est pas possible que ce dernier
ait été fait pour se détruire et pour dècouronner ainsi la création.
  Sans doute la grande et lugubre catastrophe que nous venons de
décrire n'est pas à craindre. On ne verra jamais, quoi que puissent