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10                   LA R E V U E LYONNAISE
rechercher le plaisir et éviter la douleur et que tous les actes qu'il
fait dans cette vue sont légitimes. C'est le principe sensualiste et
épicurien qu; nous avons réfuté tant de fois : nous nous dispense-
rons de le combattre de îiouveau. Remarquons seulement que, si
on l'admettait, on serait amené à justifier, non seulement le suit
cide, mais encore le vol, l'assassinat et tous les autres crimes ; car
c'est toujours pour éviter une peine ou pour se procurer un plaisir
qu'on se décide à les commettre.
    Les raisons qui suivent n'ont pas plus de valeur. Prétendre que
nous ne devons rien à la société dès que nous ne voulons plus y res-
ter, c'est supposer, ce qui n'est pas toujours vrai, que nous lui
avons déjà rendu toutes les avances qu'elles a faites pour nous, et
aussi que nous n'avons à son égard aucun devoir de dévouement.
C'est, en outre, nous ériger en juges sur un point où nous sommes
en même temps parties, et méconnaître tous les principes qui doivent
présider à une saine appréciation des choses. De ce que la vie nous
 a été donnée comme une faveur, Montesquieu conclut qu'il nous
 est permis de la rejeter quand il nous plait. Il pourrait en con-
 clure tout aussi légitimement que nous pouvons en user comme
 il nous fait plaisir, c'est-à-dire en opposition avec toute morale et
 toute raison. Quant à l'assimilation qu'il établit entre l'ordre moral
 et l'ordre physique, elle entraînerait également, si on la prenait au
 sérieux, les conséquences les plus monstrueuses. De ce que je puis
 faire d'un corps ce que je veux, il en conclut que je puis faire ce que
je veux de moi-même ; mais il devrait en conclure aussi que je puis
 faire ce que jeveux de mes semblables. De ce que je puis séparer les
 unes des autres les diverses parties d'un objet corporel, il en infère
 que je puis séparer en moi l'âme du corps ; mais il devrait en inférer
 également que je puis séparer l'âme du corps en autrui.C'est l'apolo-
 gie de l'homicide en même temps que celle du suicide. Si ma destruc-
 tion propre ne dégrade pas la nature, pourquoi celle de mon sembla-
 ble la dégraderait-elle? Je puis donc me la permettre sans scrupule.
    Montesquieu rétracte en partie son opinion touchant le suicide
 dans l'Esprit des Lois. Il y déclare, en effet, que l'action de ceux
 qui se tuent eux-mêmes est contraire à la religion naturelle, comme
 à la religion révélée. Mais ce jugement ne s'applique pas, suivant
  lui, à la plupart des suicides qui se commettent en Angleterre :