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                              DU. SUICIDE                             11
« Là, dit-il, une foule de gens se tuent sans sujet et sans que l'on
puisse connaître la cause de leur détermination, car ils s'arrachent
la vie dans le sein même du bonheur. Cette action est probablement
chez eux l'effet d'une maladie ; elle tient à l'état physique de la
machine et est indépendante de toute autre cause... on ne peut pas
plus la punir que les effets de la démence ', »
    Ces idées de Montesquieu peuvent donner lieu à plusieurs obser-
vations. D'abord on ne se tue pas plus en Angleterre qu'ailleurs :
c'est un point que les recherches de la statistique moderne ont mis
hors de contestation. Il n'y a donc pas lieu de se demander pourquoi
le suicide y est plus fréquent que dans les autres pays,puisque cela
n'est pas. On s'y tue, suivant Montesquieu, au sein même du bon-
heur. — C'est s'exprimer d'une manière peu exacte. Qu'on se tue au
sein d'un bonheur apparent, au sein du luxe, de l'opulence, au som-
met de la hiérarchie sociale, c'est-à-dire dans des conditions exté-
 rieures que le vulgaire confond volontiers avec le bonheur, parce
qu'elles semblent devoir le procurer, cela est possible; mais il est
impossible qu'on se tue dans le déploiement régulier et harmonieux
 des facultés que l'on a et dans la satisfaction qui en résulte, c'est-
 à-dire dans le bonheur même. Enfin, s'il faut en croire l'illustre
 publiciste, le suicide produit par le climat n'est pas plus coupable
 que les effets de la démence. C'est là une assertion trop absolue.
 Il en est de cette cause de suicide, là où elle existe, comme de toutes
 les autres, elle agit tantôt avec plus, tantôt avec moins d'intensité.
 Il eu résulte que, si elle est quelquefois irrésistible, quelquefois elle
  ne l'est pas et qu'on peut lutter contre elle. Le suicide que l'on
  commet dans ce dernier cas est aussi coupable que ceux qui son'c
  provoqués par d'autres causes non nécessitantes.
     Dans sa Grandeur et Décadence des Romains, Montesquieu
  montre également un certain faible pour la mort volontaire, Ilblânae
  les suicides de Caton, de Brutus et de Cassius, non comme con-
  traires à la moralité, mais comme dépourvus d'opportunité. Il voit
  dans cette coutume qu'avaient les Romains de se donner la mort
   « une espèce de point d'honneur peut-être plus raisonnable que celui
   qui nous porte aujourd'hui à égorger notre ami pour un geste ou

    Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XIV, chap. XII.