page suivante »
BIBLIOGRAPHIE . 2 99 Mais un autre danger plus réel ne tarda pas à menacer l'Allemagne : elle faillit perdre sa langue. Les moines irlandais et anglo-saxons, qui gagnèrent la Germanie au christianisme du côté de l'ouest, comme Ulfilas l'avait conquise à l'est, se servaient de la langue latine, et sous leur influence, cet idiome tendit à remplacer l'allemand. Si le plus ancien poème de l'Allemagne, YHéliand (le Sauveur), est composé en dialecte saxon, c'est-à -dire en langue allemande, le célèbre archevêque de Mayence, Raban Maur, auquel on attribue entre autres le Veni Creator, écrit en latin. C'est encore en latin que Rotswitha, la reli- gieuse de Gandersheim, a écrit ses comédies, et qu'Eginhard, Nithard et le moine de Saint-Gall ont raconté, dans leurs chroniques, les hauts faits de Charlemagne. Certains critiques ont encore soutenu que ces productions en langue latine n'auraient pas dû prendre place dans une histoire de la littéra- ture allemande. M. Heinrich a pensé différemment, et avec raison ce nous semble. Une histoire de la littérature allemande est, en effet, une histoire des œuvres littéraires des Allemands et non pas une his- toire de la langue allemande. L'idiome national ne tarda pas, d'ailleurs, à reprendre ses droits. C'est en allemand que les Minnesingers chantent l'amour et la chevalerie du xn e au xive siècle. Ici encore quelques Allemands protestent contre l'invasion étrangère. Ne pouvant nier l'influence que le christianisme a exercée sur les Minnesingers, ils soutiennent que cette influence a été mauvaise; et de même qu'ils ont rejeté de leur littérature les œuvres latines écrites par des Allemands, ils rejettent la chevalerie parce qu'elle leur semble venir de l'étranger. Ils soutiennent que la chevalerie n'eut jamais en Allemagne qu'une vie factice et ne répondit pas aux véri- tables aspirations du caractère national. C'est encore une erreur : n La chevalerie est alors le fait universel du monde chrétien; n on n'a qu'à lire l'histoire des Croisades pour s'en convaincre. Les Minnesingers, qui interprètent les poèmes de cette époque et souvent les composent, sont des chanteurs recrutés en général parmi la petite noblesse. La plupart sont fort illettrés ; quelques-uns même des plus célèbres, Wolfram d'Eschenbach et Ulrich de Liechtenstein, ne savent pas lire; ils se forment, par un enseignement oral, dans des écoles de chanteurs, qui ressemblent aux écoles de rhapsodes de la Grèce.