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160                     VICTOR DE LAPRADE
changée. Ce n'est plus le ruisseau au vert ombrage, mais
une bruyère sèche, un rocher aride, où seul sans son
cheval, le cavalier dort étendu sur son manteau sombre.
Plus loin, le Gdèle Bayard git exposé aux corbeaux de la
plaine. La cuirasse et l'écu sont faussés ; le haubert, bosselé,
est couvert de rouille ; la lance est brisée ; la harpe a
disparu.
   La vie est un combat. Le lutteur qui s'endort mollement,
et plus longtemps qu'il ne faut, ne retrouve plus ses armes
au réveil. Il doit se tenir toujours prêt pour la victoire.
Debout, lutteur! Debout, chevalier errant, à la recherche
de Ja Tour d'Ivoire !
   Il secoue son sommeil, dans lequel il n'avait cependant
perdu ni sa vaillance, ni ses bonnes intentions, ni son
amour. Il se relève, il se signe et sent sous sa main les
grains d'un chapelet. C'est le même que, l'autre soir, égre-
nait une blanche main sur son cœur. Sa dame est donc
venue? Elle a donc veillé pendant qu'il donnait et prié pour
lui ? Son amour s'accroît ; son espoir se ravive ; ce rosaire
est le vrai talisman ; il vaincra par ce rosaire.
   Et déjà il s'avance d'un pas plus ferme, interrogeant
l'horizon.
   Là-bas, à l'occident, un mont étrange apparaît comme un
rêve. Un nuage léger, vermeil et dorant la nuit de ses reflets
souriants, couronne son front. Poussé par un instinct irré-
sistible, le voyageur se dirige vers ce but. Il sent que
l'amour et la foi l'y conduisent.
                  A cœur aimant, rien d'impossible ;
                  L'inconnu m'appelle et j'y cours.
   Et qu'importe, murmure une voix au fond de son âme,
             Qu'importe la douleur ou le plaisir banal
             Si, plus haut vers le ciel, plus haut dans l'idéal
                   On est porte par l'Amour même ?