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504 être plus fatal à un écrivain que de regarder une centre littéraire comme suffisamment morale, du moment qu'elle donne lieu à la déduction d'une maxime philosophique. Celte tendance paraît généralement adoptée par les romanciers, et cependant ce n'est pas l'aphorisme attaché à bon ou à mau- vais droit à une fable qui peut purifier ou corrompre, élever ou abaisser l'intelligence et le cœur. Le romancier doit con- sidérer le côté moral de son œuvre sous un double point de vue : il doit observer l'effet des passions sur les individus, et l'effet des circonstances sociales sur le caractère. Cette der- nière partie du programme sommaire que nous venons de tracer est souvent la plus généralement utile, car elle a pour objet d'améliorer non seulement les individus, mais encore la société même ; cependant elle est souvent aussi la plus dangereuse. Nous doutons beaucoup, par exemple, que des romans tels que Tom Jones, qui, tout en cherchant à dé- masquer l'hypocrisie, jettent un charme séduisant sur les er- reurs d'un cœur naturellement franc et généreux, soient aussi utiles à de jeunes lecteurs, toujours plus disposés à sympa- thiser avec Jones qu'avec Blifil, qu'à des philosophes réflé- chis qui ont passé l'âge des passions ; tandis que le conte de miss Edgeworth intitulé Vivian et encore le roman de Paul de Rock intitulé le bon Enfant, peignent d'une ma- nière si touchante et si vraie les funestes conséquences de la faiblesse avec laquelle on cède trop souvent aux tentations du vice, qu'on peut dire que ces ouvrages doivent obtenir le succès moral le plus complet que puisse espérer une fiction. Le romancier ne doit jamais oublier combien est étendu le cercle de ceux auxquels il s'adresse. Il doit donc être attentif à ne jamais cacher la vérité sous une fiction ca- pable de produire de fatales erreurs. II doit enfin avoir toujours présente à la pensée cette maxime : Que la morale ne marche jamais sans la philosophie, tandis que la philosophie marche souvent sans la morale. (Traduit de l'anglais). B.