page suivante »
239 Autrefois, aux beaux jours de la Grèce, dans ces magni- fiques théâtres où se rassemblait toute une nation, il y avait aussi un professeur de poésie. Après une scène lou- chante ou terrible de Sophocle ou d'Eschyle, quand l'as- semblée entière palpitait d'émotion , quand ses sanglots étouffés cherchaient une issue, une expression pour se tra- duire, tout à coup du centre de l'édifice, des gradins du Thymélé., de ce foyer où aboutissaient tous les rayons de l'hémicycle, une voix s'élevait, quelquefois calme comme la raison, quelquefois passionnée comme se passionnent la justice et la vertu. C'était souvent le chant mélodieux d'un vieillard, voix attendrissante comme les derniers a- dieuxd'un beau jour; souvent c'était l'accent naïf d'une jeune fille qui semblait joindre au charme de l'innocence la majesté d'un sacerdoce public. C'était le Chœur, voix collective, représentant d'un peuple. Tous pensaient avec lui, admiraient par sa parole., pleuraient avec ses larmes. Lui, avait pour mission de prolonger l'émotipn des spectateurs, d'exprimer, de faire sortir toute la poésie d'une situation tragique, de retourner dans la blessure le trait acéré de la pitié. Mais sa plus noble tâche , c'était, au milieu de la tourmente des passions scéniques, au-dessus des jeux de la fortune et des accidents de la vie, de faire planer l'idée d'une puissance divine, de chercher dans une pensée religieuse le secret des événements humains. Tel est, MM., à part le ton lyrique de celte parole, l'image de l'enseignement de la poésie. Nous nous rassemblons ici pour entendre les œuvres des grands poètes. Comme nous allons prier en commun dans les temples, nous venons ici pour admirer en commun. Nous nous réunissons là pour le culte du saint, ici pour le culle du beau, ces deux révélations du même Etre : et comme il faut bien qu'une voix s'élève dans cette enceinte, un homme lâchera de s'animer de vos senti- ments et de vous renvoyer les émotions qu'il aura éprouvées avec vous. Mais que fais-je, MM., moi qui tout à l'heure reculais