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66 acte du moi, c'est souvent, au contraire, l'acte du moi qui les étouffe, il n'y aurait pas une telle monstruosité à en être privé. Loin d'être en droit d'attendre de l'homme ces senti- ments, il faudrait les considérer comme une chose empirique et tout-à -fait contingente. Il n'y aurait pas plus de crime à ne point éprouver ces affections qu'à ne pas recevoir telle ou telle perception extérieure, et les sentiments n'auraient pas plus de valeur morale que les sensations. Comment serait-on en droit de réclamer de l'homme l'a- mour filial, l'amour conjugal et l'amour paternel, comme on est en droit de réclamer de lui le sentiment du bien, le senti- ment du juste et le sentiment de l'injuste, si l'amour filial, conjugal et paternel n'étaient pas dans le même cas que le sentiment du bien, du juste et de l'injuste ; c'est-à -dire si ces amours, non quant aux développements, qu'ils ne r e - çoivent que de l'homme, mais quant à leur germe, ne faisaient pas positivement partie de notre être? Aussi se borne-t-on à se moquer de l'homme qui manque des pro- duits du moi, c'est-à -dire qui manque de volonté ou qui est faible, qui manque d'idée ou qui est ignorant; tandis que l'on condamne l'homme qui manque de tout ce que l'on possède indépendamment du moi, c'est-à -dire qui manque de raison ou qui est insensé, qui manque de sentimeut ou qui est criminel. En effet, comme les actes de la volonté, ainsi que les idées de l'intelligence, naissent du moi, il suffit pour être faible ou ignorant que, par paresse, le moi n'ait pas agi; mais comme l'idée du bien et du vrai, ainsi que les affec- tions de la famille, font partie de notre nature, il faut pour être criminel ou ingrat que, par perversité, le moi ait agi de manière à étouffer ces sentiments. Ce n'est pas seulement parce que son père lui est bon et utile, qu'il est si monstrueux pour l'enfant de ne pas aimer son père; ce n'est pas seulement parce que sa femme lui est