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J. TERRAS ET Ge. 269
métiers qui ne chômèrent jamais. Mais l'ex-tordeuse avait
de plus hautes Visées. Elle ne craignit pas de pousser son
pacifique époux à fabriquer quelques pièces pour son compte,
et celui-ci se laissa aller a risquer ses économies dans cette
hardie entreprise. Les pièces, fabriquées h la perfection,furent
facilement vendues par la remuante femme. Jérôme y prit
goût et consacra tous ses métiers à ce genre d'opération;
puis il en monta d'autres chez ses voisins. Le succès gran-
dissant, on osa louer une modeste chambre dans le quartier
des Capucins pour la vente de l'étoffe ; puis on descendit
de la Croix-Rousse pour se fixer à ia ville ; enfin on loua un
magasin sérieux, que l'on agrandit successivement : la mai-
son Terras était fondée et voguait à pleines voiles vers la
fortune.
Fanny Bouchut avait été l'âme de toutes ces entreprises
et continuait, sur un théâtre digne d'elle, à donner à la mai-
son son impulsion intelligente et forte. C'était alors qu'il fai-
sait beau la voir au milieu de ses nombreux commis, se dé-
menant comme un beau diable, stimulant les uns, gourman-
dant les autres, épluchant l'étoffe d'un œil sûr, rabrouant,
ex professo, l'ouvrier négligent ou maladroit, surveillant
l'ourdissage, scrutant le dévidage, redressant l'apprêteur,
grondant le teinturier, entortillant l'acheteur au besoin,
achetant la soie à propos, dirigeant la caisse, en un mot
l'œil à tout et faisant presque tout, sans en avoir trop l'air ;
car, avec un tact parfait et une adresse merveilleuse, elle
savait reporter tout l'honneur de la direction suprême au
bon Jérôme, lequel se contentait de trôner comme un Jupi-
ter olympien et de tout approuver du bonnet, sans faire
trembler personne. Aussi Mme Terras se fît-elle une réputa-
tion colossale dans la partie où les femmes des chefs fabri-
cants s'occupent peu, comme tant d'autres, des affaires de
leurs maris.