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72                            TIC-TAC.
    Eh bien non, l'hiver sera mis de côté; mais enfin, il faut bien
que je vous dise pourquoi Henriette et son mari, Auguste D., le
fils du guillottiné, sont là côte à côte et l'un près de l'autre pres-
sés, devant un beau feu flambant, et pourquoi le père La Rite,
confortablement assis dans un grand fauteuil sous le haut man-
teau de la cheminée, étale comme un écran ses mains amaigries
et transparentes de vieillesse. Au dehors, la bise noire de novem-
bre siffle dans les rameaux et mène la danse tourbillonnante des
feuilles mortes. La vallée prend le deuil, et les longues branches
des vieux saules, les menues touffes de bruyères pleurent des lar-
mes glacées. Mais ici le grillon chante derrière l'âtre qui pétille et
qui gronde, et les lutins du foyer, voltigeant sur les mouvantes
découpures de la flamme, sourient au bonheur de leurs hôtes.
    Auguste D. est un homme de trente ans, vigoureux et de
 fière taille, au front intelligent, au sourire bon. Sorti de l'école
 de Châlons avec le diplôme d'ingénieur-mécanicien, il s'est déjà
 créé un capital raisonnable. Il a le projet de se fixer au vieux mou-
 lin et d'y établir une usine importante. Tel est le sujet, la cause-
 rie que nous surprenons. Henriette boit ses paroles et le contem-
 ple avec le naïf orgueil de la femme aimante. Le père La Rite
 sourit sous sa longue moustache.
    — « Vois-tu, dit Auguste, nous laisserons ici toutes les eho-
 « ses comme elles sont, sauf les réparations nécessaires. Plus
 « bas, — la chute est suffisante, — nous construirons une scierie
 « mécanique et nous exploiterons ces forêts où les arbres tom-
 « bent de vétusté. Nous aurons tout auprès une jolie maison-
 « nette dont tu régleras toi-même le plan intérieur, avec une
 « large pelouse devant pour qu'il ou qu'elle puisse s'y ébattre à
 « son aise et jouer tout le jour. »
    — Oui, mais il faudra planter une haie le long de l'eau.
    — Sans doute, et il ou elle ne viendra jamais à l'usine qu'avec
 moi, toi non plus d'ailleurs! avec vos robes d'une ampleur...
    — Et au moulin, les pauvres ne paieront pas la mouture.
    — C'est entendu. Je n'ai besoin ni d'architecte ni de mécani-
 cien. Il y a une fort bonne carrière à deux pas. Que Dieu soit
 neutre, comme disait je ne sais plus quel chevalier, et nous