Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                 LE MONDE OU L'ON S'ENNUIE                          361
    La conversation de Paul et de Jeanne Raymond nous fait faire
 connaissance avec tout le personnel de la maison. Mme de Géran,
sèche et compassée, au fond toute à ses visées ambitieuses. Elle a
fait jadis son mari ministre, un peu comme Martine fit Sganarelle
médecin, en dépit de lui-même. Elle veut une non moins brillante
carrière pour son fils Roger. Tout jeune elle l'a lancé dans l'archéo -
logie, cette science maîtresse du moment. Il revient d'Orient où il
a exploré des tumuli. Elle n'a pas souffert qu'il vînt visiter sa
mère à Saint-Germain avant qu'il eût fini les premières visites
officielles nécessaires et qu'elle-même eût eu le temps de lancer
dans les journaux les premières réclames. Elle n'a oublié que le
cœur dans cette éducation si bien dirigée d'après les principes de
l'art de parvenir ; heureusement que le cœur subsiste à l'état la-
tent et que d'autres qu'elles se chargeront d'effondrer le tumulus
où elle l'a si bien enterré.
    A côté de Roger de Géran, une Anglaise, miss Lucy Watson,
aussi raide et aussi prude qu'on peut le souhaiter au delà du dé-
troit; de bonne famille, ayant même de hautes alliances en sa pa-
renté, toute desséchée en apparence par le positivisme anglais et
l'idéalisme allemand, lectrice de Darwin et traducteur de Scho-
penhauer ; cependant pas si philosophe qu'elle n'ait un cœur et
même presque des sens à l'occasion, ainsi qu'on s'en apercevra avant
le dénouement. Mme de Céranla convoite pour sa bru: projet absur-
de, mais qui donnerait a son fils le prestige d'avoir pour femme une
savante et pour parents de hauts personnages étrangers.
    C'est le professeur Bellac dont l'éloquence toute platonicienne
dérangera les plans matrimoniaux de M"13 de Géran. C'est le Tris-
sotin du dix-septième siècle, mais unTrissottn fort civilisé, notre
siècle étant une ère de progrès. Il ne s'amuse plus aux madrigaux
et ne rime plus « sur la fièvre qui tient la princesse Uranie». Il scru-
te les régions de l'infini et discute sur l'amour pur, sans oublier ce-
pendant de convoiter la succession de l'immortel Revel, un membre
de l'Institut qui est mourant chaque soir et qui ressuscite chaque
matin avec une place nouvelle. Il n'en flaire pas moins en miss Lucy
Watson une héritière, si bien qu'après tant de beaux discours, il
l'épousera par manière de péroraison.
    On est souvent tenté de faire des clefs pour une comédie, comme