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FRA SALIMBENE 353 niaturiste nous voyons un fort joueur d'échecs, et quelquefois une courte anecdote achève de peindre le personnage. Le portrait de Frédéric II est d'un relief étonnant : « C'était un homme fin, rusé, luxurieux et emporté. On le trouvait galant homme à l'occasion, lorsqu'il consentait à laisser voir les quali- tés aimables de sa nature ; car il était d'humeur plaisante, en- joué, industrieux... Il savait écrire, et, bon musicien, il com- posait et chantait avec un égal succès. 11 était beau, bien conformé, mais de moyenne taille... Il connaissait et pouvait parler plusieurs langues. En un mot, s'il eût été bon catholique et s'il eût aimé Dieu et son Église, il aurait peu d'égaux parmi les empereurs. » Nous pourrions ciler encore le portrait du roi Jean de Brienne, celui de saint Louis, et tant d'autres. La langue dont se sert Salimbrne, tout en étant loin d'une cor- rection parfaite, est bien supérieure à celle de beaucoup de chro- niques de la même époque. Elle a un grand avantage, c'est la clarté. Le style, souvent, n'a rien d'élevé. Salimbene ne cherche pas à éviter les expressions populaires, il emploie volontiers les locutions proverbiales comme celles-ci : « On s'en inquiéta aussi peu que de la cinquième roue d'un carrosse, » ou «que delà queue d'une chèvre. » Et il ne recule pas devant le terme de « merditas», appliqué aux gens qui ne brillaient pas par leur libéralité. Cette vulgarité même est une qualité, au point de vue où nous devons nous placer, parce qu'elle exclut la convention et qu'elle donne bien mieux l'impression générale de l'époque. D'ailleurs la vulga- rité, chez Salimbene, se concilie fort bien avec les images vives ou même gracieuses. Rien n'est plus délicat que ce qu'il dit des enfants, « qui ne sauraient vivre sans les attentions, les sourires et les caresses de leurs nourrices l ». Il compare ingénieusement les Lombards, dans leurs luttes inces- santes contre l'empereur, à une anguille, qui glisse d'autant plus facilement entre les mains qu'on la presse plus fortement. Plus loin, parlant encore des Lombards et de leurs dissensions intestines, il y 1 II le dit à propos d'une expérience de Frédéric II, qui voulait savoir ce que serait un enfant à qui on ifauraitjamais appris à parler. Mais tous les enfants qu'on isolait ainsi mouraient : « Non enim vivere possunt sine applausu et gestu et teti- tia faciei et blanditiisbajularum et nutricuin suarvm. » MAI 1881 - T. I. 23