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                    RECHERCHE DE LA V É R I T É                       311
 caractère rigoureux, elle 'satisfaisait les esprits scientifiques, par
 son caractère religieux elle enchantait les âmes pieuses. Qu'on
 ajoute à ces mérites un style qui, s'il n'est pas toujours pur, est
 presque toujours admirable, et allie àla précision de Descartes et à
 la noblesse de Bossuet, la mysticité de Fénelon et le piquant de la
 Bruyère : on comprendra alors que Malebranche ait ravi et enlevé
 le public intelligent du dix-septième siècle et que les femmes elles-
 mêmes aient fait leurs délices de ses ouvrages,si bien que M. Bouil-
lier a pu faire une certaine place aux dames malebranchistes dans
 son Histoire de la philosophie cartésienne.
    La Recherche de la vérité que M. Bouillier publie de nouveau
 est à proprement parler une logique, puisqu'elle a pour but de
 discipliner l'esprit et de le diriger vers sa fin; mais elle ne ressemble
guère aux logiques de l'école qui se transmettent comme autant de
recettes infaillibles un certain nombre de préceptes arrêtés une fois
pour toutes et figés pour jamais dans certaines formules sacramen-
telles. C'est une logique qu'anime un souffle tout cartésien et où se
meut un esprit libre qui, au lieu de se borner à colliger les solutions
consacrées des diverses questions philosophiques, envisage ces der-
nières comme si nul ne les avait traitées avant lui et les résout d'une
manière originale. C'est ce qui fait de la Recherche une oeuvre si
naturelle et si vivante, qui tranche avec les logiques artificielles et
mortes de la scolastique. Ajoutons que, dans cet ouvrage, Male-
branche appuie sa logique sur une psychologie très fine et très
déliée, où les sens, les passions, l'imagination, sont analysés de
main de maître, et qu'il la couronne par une métaphysique pleine
de grandeur, qui embrasse Dieu, l'homme et l'univers, c'est-à-dire
l'ensemble des choses. C'est, en effet, le propre des esprits actifs et
féconds de ne pouvoir se renfermer dans les compartiments d'une
science particulière et de faire en quelque sorte éclater les cadres
convenus, quand ils y jettent la matière bouillonnante de leurs
spéculations. Comme tout se tient dans leur pensée, ils ne résistent
pas au besoin de rattacher toujours une idée à une autre idée plus
profonde ou plus haute et donnent ainsi à leur oeuvre des proportions
inattendues. C'est "ainsi qu'à propos de la question la plus simple,
Platon s'élève souvent d'un coup d'aile jusqu'au monde des idées et
fait entrer dans un seul dialogue une philosophie tout entière.