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96 LA REVUE LYONNAISE sente tout autre qu'il n'est et lui prête des couleurs en harmonie avec nos dispositions affectives. Est-il beau, elle le fait encore plus beau; est-il laid, elle le fait encore plus laid; en un mot, elle l'idéalise soit en bien soit en mal et le rend ainsi beaucoup plus pro- pre à ébranler de nouveau notre sensibilité. Mais il nous suffit de connaître ce mécanisme pour ne pas nous laisser prendre à un engrenage d'où nous ne pourrions plus sortir. Ce qui fortifie encore nos passions, c'est l'habitude. Les impressions qu'elles produisen sur nous, quand nous leur donnons satisfaction, laissent en nous des traces profondes et nous font éprouver chaque fois un besoin plus vif de les satisfaire encore. C'est ainsi qu'un goût passager de- vient une inclination modérée mais durable, qu'une inclination modérée devient une passion impérieuse et tyrannique qui, après avoir étouffé notre vie morale, finit souvent par détruire notre vie physique elle-même. Mais, dès que nous connaissons cette loi delà passion, il nous est facile de nous y soustraire : nous n'avons qu'à lui opposer, dès le début, une résistance invincible. Pour prévenir le suicide, il ne suffit pas d'affaiblir la passion, il faut encore fortifier la raison et la volonté. Fortifier la raison, cette prescription semble, au premier abord, en opposition avec l'obser- vation que nous avons faite, que le développement delà réflexion est souvent une cause de suicide. Il n'en est rien. Si la réflexion détermine quelquefois un tel acte, c'est parce qu'elle s'isole de l'ac- tion et dégénère en rêverie ; c'est aussi parce que, si elle est assez développée pour discuter les lois essentielles de la vie, elle ne l'est pas encore assez pour en découvrir, dans les profondeurs de l'âme, la raison d'être et l'excellence. C'est à ce point qu'il faut l'amener par un enseignement solide et par une culture morale sérieuse, Quant à la volonté, c'est déjà la fortifier que de la sou- straire à l'empire delà passion et de la soumettre à celui de la rai- son. Cependant cela ne suffit pas. lien est d'elle comme des autres facultés de l'être humain : on ne lui donne toute la vigueur dont elle est susceptible qu'en l'exerçant. De là la nécessité de nous livrer dans une large mesure à la pratique de la vie* au lieu de nous en- dormir dans les molles langueurs de la rêverie et de la contem- plation. C'est par là que nous arriverons à avoir du caractère, c'est-à -dire une véritable énergie morale; au lieu d'avoir seulement