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                                  LE SUICIDE                                  87
 envers nous-mêmes, mais encore à nos devoirs envers nos sem-
blables. Un homme qui se tue à la fleur de la jeunesse ou dans la
force de l'âge, ce qui est le cas le plus ordinaire, frustre la société,
qui a étendu sur lui son égide et lui a avancé les secours dont il
avait besoin, des services qu'elle était en droit d'attendre de lui;
il prive les parents, qui l'ont nourri et élevé, d'un appui sur lequel
ils devaient compter dans leur vieillesse; quelquefois il abandonne
unefemmeetdes enfants à toutes les horreurs de la misère. Ce sont
làautant de circonstances qui aggravent singulièrement la culpa-
bilité du meurtre de soi-même. Ajoutons qu'il est une dérogation
à nos devoirs envers Dieu : en nous assignant une fin, l'Être su-
prême nous impose l'obligation d'y tendre et de ne pas quitter la
carrière de la vie avant de l'avoir parcourue. C'est donc là un
acte également condamné par la morale individuelle, parla morale
sociale et par la morale religieuse.
    S'il fallait en croire un de nos philosophes les plus éminents,
 non seulement le suicide serait criminel,mais il le serait au même
 degré que l'homicide. La raison, suivant lui, en est bien simple.
Pourquoi sommes-nous tenus de respecter la vie de nos semblables ?
parce qu'elle a un but moral vers lequel ils sont obligés de se
diriger, à savoir, leur amélioration intérieure, leur perfection-
nement spirituel : sans cela, nous pourrions disposer de leur vie aussi
légitimement que de celle des animaux. Mais notre vie, à nous, a
exactement le même but que", la leur : donc nous lui devons exac-
tement le même respect et sommes exactement aussi coupables,
en attentant à l'une qu'en attentant à l'autre 1 .
   J'en demande pardon à M. Franck, mais je ne saurais être de son
avis sur ce point. En m'ôtant la vie, je dispose d'une chose qui
m'appartient, tandis qu'en l'ôtant à autrui, je porte la main sur
un bien qui n'est pas à moi. Sans doute ma vie ne m'appartient
que conditionnellement, c'est-à-dire à la charge d'en user d'une
manière convenable et de ne pas la détruire sans nécessité : c'est
pourquoi-faction de me l'arracher à moi-même est criminelle. Mais
toujours est-il qu'elle m'appartient, tandis que celle de mon sem-
blable ne m'appartient pas. En la lui ôtant, je lui vole ce' qui est

  1
      M. Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, article Suicide.