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DU SUICIDE 15 elle n'est rien aux yeux de la raison ; elle ne doit rien être aux nôtres, et quand nous laissons notre corps, nous ne faisons que poser un vêtement incommode. Est-ce la peine d'en faire si grand bruit? » Ainsi (chosecurieuse !)ces doctrines métaphysiques et transcen- dantes auxquelles on a ordinairement recours pour ètayer l'édifice de la morale, nos deux auteurs s'en servent ici pour le battre en brèche. Mais on peut leur répondre que notre vie n'est pas si peu de chose qu'ils le prétendent ; qu'elle est, au contraire, d'un prix in- fini car elle a ; un but moral, et la terre et ses royaumes et tous les corps ensemble, suivant l'expression de Pascal, ne valent pas un seul acte de haute moralité : ce sont des choses d'un autre ordre. On peut ajouter que, si notre propre vie a si peu de valeur, celle des autres apparemment n'en a pas plus et que, par conséquent, nous ne devons pas la respecter aussi religieusement que nous, avons coutume de le faire, comme si leur être en dépendait et qu'après la mortonnefût plus rien! Les dépouiller de leur corps, c'est également les dépouiller d'un vêtement incommode, et ce n'est pas la peine d'en faire si grand bruit. On voit que, si le raisonnement de Rousseau légitimait le suicide, il légitimerait aussi l'assassinat : c'est assez dire qu'il n'a aucune valeur. FERRAZ. P r o f e s s e u r à la F a c u l t é des l e t t r e s (A suivre.)