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264                  LE DERNIER LIVRE

le grave sénateur et l'imposant homme d'Etat se délassait de
l'étiquette cérémonieuse des Tuileries et de Compiègne.

   C'est par M. Ernest Daudet, l'aîné, investi récemment
des fonctions de sténographe au Corps législatif, que le
spirituel duc se mit en rapport avec l'auteur des Amoureuses.
Des amis communs nous racontent un détail amusant de la
première entrevue. M. Alphonse Daudet, comme il conve-
nait à tout jeune homme de vingt ans en l'an de grâce 1858,
était fort républicain. Mis en présence du haut dignitaire,
ami de l'Empereur (plus qu'ami), il crut devoir sauvegarder
l'indépendance de ses opinions par une profession de foi :
 « Monsieur le duc, lui dit-il, en se campant sur ses hanches,
je dois vous déclarer qu'en entrant chez vous je ne renon-
cerai à aucun de mes principes. » Le duc le regarda à
travers son lorgnon, et après un moment de silence, de sa
voix calme et un peu traînante : « Oh ! mon ami, je ne
vous demanderai jamais de renoncer à rien... Ah ! si pour-
tant : il y a un sacrifice que je vous demande expressé-
ment. » Daudet attendait avec anxiété. — « C'est de vous
faire couper les cheveux, ils sont vraiment trop longs. » Le
sacrifice ne parut pas d'une cruauté excessive, car dès lors
Daudet fut attaché à la maison de M. de Morny ; et cette
entrée dans la haute vie, dans l'intimité d'un homme infi-
niment spirituel, lui a fourni à tout le moins de curieux
sujets d'observation.
   Est-ce parce qu'il se taisait sur M. de Morny que
M. Daudet s'est tu aussi sur un de ses ouvrages qui est
pourtant loin de mériter cet oubli? C'est, croyons-nous,
pour le salon du duc et sous son inspiration qu'il a composé
le conte en vers intitulé, la Double Conversion. Ce petit
poème, assez peu connu, est pourtant plein d'esprit et de