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UNE ÉVASION A PIERRE-SCIZE 55 hauteur de la peinture bleue ; mon papier de même couleur recouvrait et masquait mon chemin de sape : je travaillais quatre heures par nuit. J'avais le soin de bien balayer, et de reposer mon papier bleu devant ma porte de salut. Quant auxdécombres, je les mettais soigneusement dans des mou- choirs, et j'allais les jeter le plus facilement du monde, dans les lieux d'aisance à l'usage des prisonniers. Ces lieux étaient situés au bas de l'escalier intérieur de la tour. Je demeurais au numéro i, et sur la grande proximité, je pou- vais y descendre vingt fois par jour, sans être remarqué ; enfin par un, autre hasard, cette espèce de puits était d'une singulière profondeur. « Une circonstance facilita beaucoup mon travail ; le mur se trouva, comme je l'avais espéré, désuni de la tour d'environ deux ou trois pouces, et, dans toute cette démo- lition de neuf à dix pieds d'épaisseur, je n'ai trouvé qu'une très grosse pierre: elle fut l'objet d'une profonde affliction et d'un long conseil avec moi-même. Cette énorme pierre me présentait un angle aigu ; je l'attaquai sans confiance par la circonvallation. Jugez de ma joie lorsque je sentis qu'elle branlait sous mes faibles leviers comme une dent ; j'eus le bonheur de la déchausser et de la sortir enfin de mon petit chemin de taupe ; je ne songeai pas à la briser ou à la diviser ; je la cachai toute entière dans ma paillasse ; on la retrouva plus tard : elle a figuré dans le procès-verbal de mon évasion; mais pendant mon opération, elle n'en a pas rendu mon lit meilleur. Le début avait été difficile, parce que neuf à dix pouces de plâtre m'empêchaient de recon- naître la vraie position des pierres qu'il fallait attaquer avec ménagement pour ne pas dépasser la peinture bleue. Je creusai, je creusai de manière qu'en entrant ventre à terre, je pouvais retirer mes jambes, et m'asseoir au milieu de