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UNE ÉVASïON A PIERRK-SCIZE 83 veux; mais apprenez qu'il n'y a pas de puissance humaine capable de m'arrêter vivant; vous êtes quatre, je réponds d'en tuer deux. » Et je leur présentai d'une main mon pis- tolet et de l'autre mon couteau. Ils se regardèrent, et me dirent : « Adieu, vous êtes un brave ! bon voyage et bonne chance, » et ils se retirèrent. « Je m'éloignai sans savoir où j'allais précisément. Le son du tocsin, le bruit de la fusillade, les cent voix de la renommée qui avait articulé dans tout le faubourg de Vaize le nom de prisonnier et d'évasion ; la nouvelle plus ou moins vague de cette alerte avait devancé mes pas, ma fuite, ma course; je voyais les femmes aux portes, aux fenêtres, disant, sans le savoir : « Qu'est-ce que c'est? Entrez, Monsieur, entrez à la maison, nous vous sauve- rons. » Je n'avais garde de m'arrêter; j'étais trop près du terrible donjon, je n'en courais que mieux ; mais ces voix de femmes m'allaient à l'âme : sans les regarder, je les trou- vais toutes charmantes; 'elles me plaignaient, elles voulaient secourir un malheureux ! Marcelines, Suzannes ou com- tesses Almaviva, je les voyais des yeux du cœur; je les aurais embrassées toutes,... mais je n'avais pas le temps. « Les habitations ne se touchaient plus du côté où j'allais, sans savoir où ; et, toujours marchant, toujours courant, je me trouvai près d'un petit bois taillis très fourré; je m'y jetai comme dans un asile; son enceinte renfermait quelques toises de pré : mon premier besoin fut de m'étendre sur l'herbe et de prendre quelque repos. « Un profond silence régnait autour de moi : je jouissais délicieusement du plaisir de respirer cet air si pur, cet air libre, si nouveau pour moi. Au milieu de toutes mes pen- sées, une idée dominante était une certaine idée d'orgueil : je me disais que cet événement ferait du bruit, appellerait