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56              UNE ÉVASION A PIERRE-SCIZE

mon trou comme un garçon tailleur. Je travaillais éclairé
tant bien que mal, par des pots de pommade que j'avais
convertis en lampions, en y mettant du suif et une mèche.
    « La solution de continuité de mon mur avec la tour
commençait à me permettre de respirer l'air extérieur, ce
qui était un grand soulagement pour moi. Je calculais que
j'avais près de quatre pieds encore à démolir : j'étais à moi-
tié de mon travail, lorsque sur les onze heures ou minuit,
j'entends une voix prononçant ces mots terribles : « Papa,
regarde donc, une lumière aux pieds de la tour du châ-
teau. » C'était un enfant, le fils du jardinier. Mes sens se
glacèrent, je mis la main sur ma petite lampe, j'en fus
quitte pour me brûler ferme et pour la peur : le bonhomme
crut que son fils s'était trompé, et cet incident qui devait
me perdre, n'eut aucune suite.
    « Mon travail est achevé, et il ne m'a coûté de temps
que quarante-cinq nuits. Que de réflexions m'arrivent en
foule ! Ce mur de dix pieds d'épaisseur n'est plus pour
moiqu'une cloison de quelques pouces : d'un coup de pied,
 d'un coup d'épaule je vais renverser la faible barrière qui
 me sépare de la société, de la liberté !... Mais que devien-
 drais-je ? Je suisdénué de tout; jen'ai pas six francs dans ma
 poche... Sortirais-je seul ? N'est-il pas plus honorable de
 donner la liberté à tous mes compagnons d'infortune aussi
 bien qu'à moi ! Ils doivent tous être innocents, ils le disent.
 Quelle obligation ils m'auront toute leur vie ! et de plus,
 si nous sommes attaqués, nous serons en force pour nous
 défendre.
     « Je m'arrête à cette noble idée... Mais je ne veux rien
 dire d'avance... car si j'étais trahi !...
     « Je suspendis tout travail le lendemain, et au moment
 où l'on nous faisait rentrer pour nous enfermer dans nos