page suivante »
.§10 ORGUEIL « Mais il n'y avait pas à s'y tromper, déjà les barques tournant, chavirant, s'accrochant aux écueils, étaient, tant bien que mal, arrivées presque sous le fort. C'était un piteux concert de bêlements plaintifs et, éclairés par des torches fixées à des cornes noires, on voyait des mentons poilus et des yeux suppliants.... « — Vous le voyez bien, poltrons, ce sont des chèvres ! cria Pudding d'une voix de tonnerre. « C'étaient les pauvres bêtes, en effet, qui toutes n'a- vaient pas osé se jeter à l'eau et qui remplissaient jusqu'au bout leur office de chandeliers. « Un formidable éclat de rire retentit sur la terrasse, chacun voulait faire plus de bruit que son voisin pour prou- ver qu'il avait eu moins de peur. Depuis un quart d'heure, presque toute la garnison se pressait là pour avoir part au spectacle ; maintenant les propos allaient bon train : « —• Quelle infernale idée a eu le baron de nous envoyer ses chèvres ? « — Il a pensé peut-être qu'elles monteraient mieux à l'assaut que ses soldats, ou qu'elles incendieraient les rem- parts. « — Voyez donc, en voilà qui débarquent. « — En chasse, elles sont à nous ! « Mais la parole expira dans la gorge de celui qui parla le dernier. Souriant et calme, M. du Fossat surgit soudain et alla familièrement taper sur l'épaule de sir Pudding. Comme devant une apparition, les soldats reculèrent, traçant un large cercle autour des deux ennemis. « — Or ça, mon voisin, commença le baron sur un ton tout à fait délibéré, vous vous en doutez sans doute, je viens traiter amicalement avec vous de la reddition de votre bicoque. « Le Grand-Carotte n'osait point en croire ses yeux; il