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276 TACITE qu'à rendre plus sombres les ténèbres qui l'ont remplacée. Ce n'est point une glorieuse épopée qui va échoir à sa plume. C'est une suite de récits obscurs et monotones, in- capables d'élever l'âme, de passionner de nobles instincts, et il éprouve le besoin d'excuser, auprès de ses lecteurs, l'ingratitude de son sujet. « Je ne me dissimule point, dit-il, que ce que j'ai à rapporter ne paraisse peu digne de mémoire, mais il ne faut pas comparer nos annales avec les ouvrages qui con- tiennent les anciens exploits du peuple romain. Là , des guerres importantes, des sièges mémorables, des rois vaincus et prisonniers ; au dedans, les querelles des con- suls et des tribuns, les lois agraires, les contentions du peuple et des grands, ouvraient un champ libre au génie de l'écrivain. Pour moi, je suis resserré dans un .sujet in- grat, qui n'offre, pour incident, qu'une paix constante ou faiblement altérée, que les malheurs des citoyens, sous des princes peu jaloux d'étendre les limites de l'Empire. » On comprend, sans peine, l'amertume de cette plainte de la part d'un écrivain qui se sent né pour traiter de grandes choses, et qui ne rencontre sous sa main qu'une matière méprisable. Mais, ce qui excite le désespoir de Tacite est justement ce qui a fait sa gloire. Tandis que des historiens médiocres, avec d'admirables éléments, ne savent construi- re qu'un éditice vulgaire,lui, avec des éléments vulgaires,a su élever un des plus beaux monuments littéraires que nous ait légués l'antiquité. Dans une telle condition, le point capital est de discer- ner le parti qu'on doit tirer de son sujet. Vouloir le grandir, serait une erreur; il faut alors chercher à le rendre instruc- tif. C'est ce que le sens supérieur de Tacite, lui suggéra, et ce que, à la suite du passage que j'ai ci r é, il exprime ainsi: « Non lamen sineusu fuerit introspicere illaprimo aspectu levia, ex quis magnarum scepe rentra rnonilus oriuntur. 11 ne sera pas toutefois inutile d'approfondir des