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280 TACITE que l'auteur effleure à peine, Suétone suit la même carrière que Tacite, se heurte aux mêmes personnages, rencontre les mêmes scènes. On serait tenté de croire que l'écrit de Suétone et celui de Tacite vont se ressembler, sinon par la forme littéraire, bien que Suétone ait du style, du moins sous le rapport moral : il n'en est rien pourtant. Tout un abîme les sépare. L'œuvre du biographe offense, à chaque instant, les oreilles délicates. Ce n'est ni plus ni moins qu'un livre dangereux que la prudence invite à cacher dans l'endroit secret d'une bibliothèque, pour ne le confier qu'aux mains discrètes des érudits. Par contre, l'œuvre de l'historien est un livre moral où l'esprit peut venir s'enrichir à l'aise, sans qu'il en coûte rien à la modestie. Pourquoi cela? Parce que le biographe n'a eu d'autre but, en écrivant, que de satisfaire la curio- sité, tandis que l'historien a voulu, par le présent, instruire les générations futures, faire de l'histoire une école de mœurs. Il y a une manière de narrer le crime qui ne blesse pas l'honnêteté, comme il y a une manière de représenter la nudité qui n'outrage pas la pudeur. C'est l'art des grands maîtres, dans les genres divers, de garder cette décence. Suétone ne paraît pas avoir la moindre idée de cet art On dirait plutôt qu'il se complaît dans l'obcénité Sa froide érudition en rechercha les détails et les étale effronté- ment aux regards, comme les mendiants leurs ulcères. Ouvrez Tacite, au contraire, vous êtes frappé de l'air de modestie qu'y revêtent toutes choses. Semblable à ces vierges chrétiennes qui sortaient du lupanar, larougeurau front, mais immaculées, le style de l'historien passe, à travers les débauches de Tibère et les orgies de Néron, en en marquant les hoDtes , mais sans rien perdre de sa dignité et sans jamais blesser les convenances. Le même contraste qui se produit, dans la moralité des deui écrivains, se répète aussi dans leurs caractères. Je