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166 POÉSIE Partir ! i! doit partir ! laisser sa fiancée ! Ainsi privations, travail étaient perdus, Et les charmants espoirs justement attendus ! Energiques pourtant, comment pouvoir nous taire ? Nous retrouverions-nous ? ah l'atroce mystère ! Je n'ai pas oublié l'étreinte du départ ; Pour l'entrevoir encor, je suivis l'œil hagard, Je suivis tout le jour ; il marchait pâle et sombre En revenant la nuit, je sanglotais dans l'ombre. V Comme tu nous broyas, guerre, effrayante meule ! D'adieux inattendus je ne pleurais pas seule ; Sans pitié, la douleur franchissait chaque seuil ; Des femmes par milliers prenaient aussi le deuil. Elles avaient du moins, pour essuyer leurs larmes. Pour partager le poids des poignantes alarmes, Un enfant, des amis, une mère, un soutien; Moi, pour me consoler, seule je n'avais rien. Ma famille était lui, mon fiancé, mon frère. Hélas ! j'aurais appris comment on désespère, Si mon cœur, trop souvent éprouvé par le sort, De son déchirement ne fût sorti plus fort. La désolation remplissait la Lorraine; Dominant ma douleur, grave, presque sereine, J'écoutais raconter par nos plus vieux soldats, Les nouvelles du jour et les anciens combats. Aujourd'hui le désastre autrefois la victoire ! Alors qu'ils s'exaltaient, en parlant de la gloire De leur drapeau partout se déployant vainqueur, Un sentiment nouveau me pénétrait le cœur ; Et comme eux, m'inclinant au nom de la patrie, J'en partageais déjà l'ardente idolâtrie. Que de fois je les vis, beaux de leur désespoir, Ces vieillards mutilés, pleurer de ne pouvoir Défendre le pays, être de la bataille : Pour mourir, disaient-ils, d'une dernière entaille !