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410 UN MARIAGE SOUS LES TROPIQUES. plage unie, formée par une sinuosité du fleuve, les jésuites avaient bâti une église et quelques maisons qui, en s'agglo- mérant plus tard, étaient devenues une ville et s'étaient baptisées du nom du cours d'eau qui les arrosait. Ainsi * placée, Chirimayo était à l'abri des visiteurs importuns, car de tous côtés des escarpemens monstrueux lui ser- vaient de forteresse, et, sauf trois ou quatre commerçants qui avaient osé affronter ces difficultés et gagner Salta pour quelques besoins mercantiles, la population toute entière naissait, .vivait et mourait sous le toit natal, en tout pareille au coquillag-e collé à son banc de rocher, et n'entendant pas plus que lui le bruit qui se faisait à la sur- face du monde. Le soulèvement de 1 781, la révolte des In- diens, qui mirent la conquête de l'Espagne en si g-rave pé- ril, les exploits du valeureux Réséguin, qui conserva ces colonies à la mère-patrie, tous ces évënemens si dramatiques, avaient passé sur le Chirimayo comme le murmure d'une brise ou le froissement produit dans l'air par le vol d'une compagnie d'oiseaux fuyant à perte de vue. Personne ne connaissait l'Europe, ni les cataclysmes qui l'avaient bou- leversée à la fin du dernier siècle et qui avaient fait place aux gloires miraculeuses d'un empereur. Qu'importait à cette population nonchalante les batailles sanglantes, les merveilles de génie d'un autre monde, pourvu que le maïs vît jaunir son épi, et que la pastèque, coupée en tran- ches vertes, tempérât de sa pulpe fondante et glacée la chaleur que le soleil versait sur la vallée ? On conçoit facilement quel effet dut produire au milieu d'une semblable population la brusque apparition d'une cavalcade inconnue. — Voyez, disait un vieillard appuyé sur un long bâton de laurier, voyez la bonne mine de celui qui paraît le chef de la troupe, quel air noble ! quelle sérénité sur ses traits*