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158 LE BOUQUET FATAL, toute l'Ecole de médecine. Attirée par le mérite exceptionnel et la réputation du jeune savant, elle avait assisté comme un seul homme et comme en un champ-clos à ce tournoi scientifique dans lequel Remy, partisan des doctrines dé Montpellier et en- nemi juré des tendances déjà naissantes d'une médecine maté- rialiste, soutint avec vigueur et avec éclat la théorie séduisante de Yanimisme et du viialisme. Le soleil s'était convié à cette fête intime plus précieuse pour Remy que celle du matin. Ses chauds et éblouissants rayons inondaient d'un bain lumineux les masses et les accidents de l'incomparable paysage. C'était une de ces journées où la vie,- le mouvement, la joie s'épanchent et débordent de toute chose ; où la nature entière semble se faire la complice d'une bonne fortune ; où la sève des cœurs qui s'aiment se dilate et s'évapore dans l'espace comme une senteur d'oasis. Je m'imagine que chaque être humain qui passe sur notre misérable planète, a, dans sa vie (part faite aux douleurs) une heure de félicité sans mélange, proportionnée à sa sphère et à sa mesure d'action. Pendant cette heure divine et bénie, il est bien véritablement et non pas au figuré, le roi de la création. Si cette théorie est juste, Remy, Solange et sa mère possé- dèrent ce soir cette royauté. Madame de Vallouise ne cherchait pas à réprimer son conten- tement, il était trop visible. Solange se livrait à sa joie avec l'adorable abandon d'un cœur sans détour; ses gais propos jaillissaient en fusées, et ses rires étincelants vibraient dans l'espace comme des roulades perlées. Remy devinait toutes les tendresses contenues dans ces démonstrations, il en était délicieusement ému, ses yeux humides et son sourire énamouré le disaient assez. Tout ce qui plaît, tout ce qui flatte, tout ce qui encourage, tout ce qui caresse, tout ce qui console et tout ce qui rassure fut échangé pendant ce repas dans les intarissa- bles propos des trois convives. Mais, au milieu de ces éclairs et dans ces causeries marqaées