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LE BOUQUET FATAL. 73 le dire, ce qui particularisait avant tout la personne de ce jeune inconnu, c'était un singulier parfum de tristesse et de réserve, un je ne sais quoi de contenu qui décèle les flères pudeurs de certains êtres et qui éveille la curiosité du passant comme une fleur sauvage étincelant dans un fouillis de ronces. Lorsqu'il eut franchi la grille de l'Observatoire, ce jeune homme tourna à .sa droite et suivit le boulevard Montparnasse. En pas- sant devant une des voies transversales qui le coupent à angle droit, il lut ces mots : Rue Campagne première. Lui de s'arrêter aussitôt et de porter la main à son cœur comme pour en com- primer les battements. Quelque chose d'humide perla au bord de ses longs cils. Ce nom suave et frais avait sans doute remué chez lui, pauvre citadin condamné à l'exil des rues sombres, mille souvenirs de grand air. de printemps et de liberté. Aucun de ceux qui ont vécu dans ces parages n'ignore le charme inef- fable de renouveau qu'exhalait cette rue bordée alors de clos et de jardins, et dont le nom était tout un poème. Le jeune homme, remis de son émotion passagère, traversa la rue Delambre et gagna le cimetière Montparnasse dont les portes étaient grandes ouvertes, et qui, par ce beau soleil et cette matinée réjouie, semblait un asile ombreux et hospitalier aussi propice aux vivants qu'aux morts. Il suivit les allées sinueuses en ralentissant et pressant tour à tour le pas comme ceux qui ont hâte et crainte d'arriver au lieu qu'ils cherchent; puis il s'arrêta tout d'un trait vers une tombe humble et discrète, ombragée d'un jeune sophora aux rameaux éplorés et recouverte d'une simple pierre oblongue sur laquelle était gravée cette épitaphe : Hic corpus : anima cœlo. A la mémoire de Solange Gardée Par les deux cœurs qui l'ont aimée. Au-dessous, en caractères beaucoup moins apparents, figu- raient les noms de famille et les dates d'usage. A l'aspect de ce modeste monument, l'inconnu devint d'une