page suivante »
LE BOUQUET FATAL. 85 ne négligeait point, ne tendaient plus au même objet ; avenir, fortune, renommée, n'étaient plus pour lui que des chimères reléguées au second plan. Le seul idéal, la véritable idole était Solange, et c'est à elle que montait l'encens de ses labeurs. L'œil d'une mère est trop clairvoyant pour que Madame de Vallouise n'eût pas deviné dès l'origine cette inclination réci- proque. Elle admirait secrètement ces deux âmes si bien faites pour s'entendre, et ces sympathies si naturellement écloses ; elle aussi avait compris l'éloquence du regard qui décida de leur destinée. Elle en ressentit de vives alarmes, mais aussi tant de bonheur, qu'elle n'osa contrarier l'essor de cette sympathie. La vie et la santé de sa fille lui semblaient tellement intéressées dans cette idylle qu'elle tremblait d'en interrompre le cours, et elle eût cru compromettre les effets de la guérison en faisant cesser les assuiduités du guérisseur. Et pourtant de cruelles perplexités l'agitaient quelquefois. Elle interrogeait l'avenir, et se demandait anxieusement com- ment tout cela finirait. Mais elle avait foi en Remy qui lui ins- pirait une tendre estime, et quand il entrait, il y avait chez Solange un tel épanouissement de plaisir et de santé qu'elle s'abandonnait sans réserve au bonheur de la voir contente et satisfaite. Elle ajournait alors à d'autres temps l'adoption d'un plan de conduite, et se disait que Dieu mènerait tout pour le mieux. (Jetait une femme bonne, digne et distinguée que Madame de Vallouise. Quoique jeune encore et portant les traces d'une beauté restée très-visible, elle avait en elle de ces indices qui révèlent de grandes douleurs passées; c'est ainsi que ses abon- dants cheveux étaient d'un blanc de neige, ce qui contrastait singulièrement avec sa figure fraîche et rose, ses dents éblouis- santes , ses sourcils châtains et son regard vif. On eût dit une marquise poudrée détachée d'un tableau Pompadour. Il n'y a pas de plus piquante antithèse que cheveux blancs sur jeune visage ; cela produit la même sensation que ces jardins de ver- dure et de fleurs qu'on rencontre dans les Alpes, au pied même des glaciers.