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512           TROIS MOIS AU-DELA DES ALPES.

   J'avouerai cependant que je fus plusieurs fois arraché de
ma rêverie par les divers incidents inévitables à chaque relai,
principalement par la causerie vraiment érudite de notre
conducteur qui me fit l'effet d'avoir plutôt fréquenté des aca-
démiciens que des postillons. A plusieurs reprises, il me
cita des vers du Dante, du Tasse et de l'Arioste. Ce n'était
pas la dernière fois que je devais admirer ce culte que les
Italiens ont toujours professé pour leurs grands poètes.
Comme toutes ces citations étaient entrelardées d'histoires
de voleurs fameux, à chaque instant nous nous attendions
à voir sortir de quelque taillis des hommes armés avec le
costume traditionnel de l'emploi ; chapeau pointu a petits
rebords et a haute forme avec des banderolles croisées sur
son pourtour, gilet et veste en velours couverts de broderie
en or, culotte courte retenue par de grandes guêtres, le
tout accompagné d'une escopette reluisante au soleil et d'un
long stylet. En dépit de notre bonne envie de faire quelque
rencontre, il n'en fut rien. Nous arrivâmes à Rome avec le dé-
plaisir de ne pouvoir enrichir nos notes de voyage, d'un de ces
épisodes qui donnent un si piquant assaisonnement aux ré-
cits d'un pèlerin. Comme compensation , nous n'étions pas
arrivés a la porte de l'hôtel d'Allemagne que l'impériale de
notre véhicule était littéralement noire de fachini, qui ne se
proposaient rien moins que de nous exploiter. Heureusement
nous eûmes le bon esprit de nous dépouiller de nos enve-
loppes, plus ou moins officielles, qui, de peintre, qui, de
sculpteur, qui, de rentier. Nous détachâmes nous-mêmes
nos malles et à leur grande stupeur nous jouâmes si bien
le rôle de porte-faix, qu'ils crurent indubitablement que nous
étions des hommes du métier déguisés.
   Le lendemain matin Emile et moi, nous sortîmes, littéra-
lement moisis, de l'entresol où l'on nous avait juchés. Aussi
notre première pensée fut-elle de descendre sur la place