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               TROIS MOIS AU-DELA DES ALPES.                 509

  contrebalancé par l'impérieux désir de toucher bientôt les
 rivages de la péninsule. Malgré cela, mon regard rêveur et
 attristé par l'heure de la séparation, se tournait longtemps
 encore sur les dernières maisons des faubourgs, sur notre
 riante colline de Fourrière. Tout le monde me comprendra;
 on ne quitte pas sans émotion sa mère, ses amis et son
 foyer. Et selon la véridique opinion de saint Jérôme : « Celui
 qui ne cesse de courir les mers change bien de ciel, mais
 non pas de nature. »
    Après un séjour de courte durée à Marseille, nous mon-
 tâmes sur le Montebello, bateau à vapeur qui devait nous
transporter directement a Civita-Vecchia. Malgré la mer la
plus calme, le temps le plus serein, un séjour sur les flots,
 ne serait-il que de vingt-quatre heures, est toujours désagréa-
ble pour celui qui n'est pas familiarisé avec ce mobile et capri-
 cieux élément ; durant le jour, le pont ne ressemble pas mal
à un théâtre où les acteurs ont l'air de se lasser de jouer
leurs rôles ordinaires. Et puis, sur une planche de cinquante
mètres de longueur, comment éviter un importun ? Comment
distribuer ses heures ? —Fait-il beau ? on est impitoyablement
réduit à prendre et à laisser vingt fois le même livre, a abor-
der et a quitter vingt fois la même personne ; repas et repos
comblent ces monotones lacunes, quand on peut. Tout le
monde connaît le mal de mer, ne serait-ce que par ouï-dire.
Et la nuit, lorsque l'insomnie vous obsède,, l'on est bien plus
malheureux encore : odeur insupportable de goudron, infer-
nal concert des ronfleurs les plus en renom des deux hémis-
phères, perpétuels craquements des planches de la quille
ou de l'avant du navire. Pour achever le tableau, vous par-
lerai-je du charme de se sentir, durant une nuit entière, pri-
sonnier dans l'étroit espace d'un rayon de placard ? Halte-fa,
tous ces inconvénients cessent à l'instant même où le plus
clairvoyant crie: Terre!!! Cri fortuné que nous eûmes le