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446                            mme   RISTORI.
gantesques et des jaillissements de tendresse qui partent des sources les
plus reculées de l'âme. Quelle manière large et touchante d'envelopper sa
nourrice dans ses bras pour l'embrasser ! quelle onction dans le geste !
quelle distinction souveraine lorsqu'en face d'Elisabeth elle s'écrie :
je suis la reine ! quelle souplesse enfantine et caressante lorsque dans
Pia elle se glisse et s'enroule, comme une jeune vigne, autour de son
époux soupçonneux ! A chaque moment, on voit le sentiment faire explosion
sur sa physionomie et la transfigurer. Sur son front, mobile comme l'onde,
passent les ombres du drame, les reflets des vers du poète. Ce n'est plus
le frent de Rachel, hautain et mystérieux, offrant entre un double bandeau
de cheveux bruns une plaque étroite, dure et mate ; le sien est large,
plein de franchise et d'honnêteté, et l'on y peut suivre comme dans un
livre grand-ouvert, la pensée et le sentiment qui la font parler ou agir. Ce
je ne sais quoi, d'indéfinissable, qui s'appelle le don d'émouvoir, quelle
actrice a pu se vanter de le posséder à un plus haut degré ? Qui a pu l'en-
tendre sans éprouver une certaine fermentation intérieure, sans se sentir
subjugué, oppressé? L'admiration, quand on l'écoute, fait place à un sen-
timent plus poignant ; en la voyant mourir, on crie • grâce !
                                                         •
   Pourtant au milieu de toutes ces impétuosités, le goût, ce sens intime
de la mesure et de l'harmonie, intervient à temps pour dire : tu n'iras pas
plus loin. La preuve en est, ce me semble, dans cette observation que
chacun a pu vérifier, c'est qu'elle psut bien faire trembler, mais qu'elle
ne fait jamais rire, et que si elle est quelquefois violente, ce n'est jamais
au détriment de la noblesse et de l'élégance. On se tromperait fort si on
s'imaginait que Mm« Ristori ne surveille pas constamment ses attitudes et
ses mouvements. Rien dans son jeu n'est jamais abandonné au hazard de
la scène, à l'inspiration du moment. Ses attitudes, elle les puise de préfé-
rence dans l'ordre de la peinture, tandis que Mlle Rachel, si belle d'har-
monie linéaire, les tire surtout de l'ordre sculptural. De là chez l'une
plus de régularité, plus de sobriété classique, mais de là aussi chez l'autre,
je ne dirais pas plus de puissance virtuelle, mais plus de nouveauté. En
réalité, les traditions de la scène devront peu de chose à M"e Rachel. Son
mérite est d'avoir bien compris notre art tragique, rigide et compassé, cl qui
ne devient naturel qu'à force de perfection. Elle a aussi rajeuni la diction
dramatique et interprété nos chefs-d'œuvre avec un sens plus juste de
l'antiquité, voilà sa gloire. Mae Ristori a cherché la sienne ailleurs. Per-
sonne aussi puissamment qu'elle ne me parait avoir su secouer et retourner,
pour ainsi dire, un rôle, pour en faire tomber tous les mystères ; ce qu'elle
y ajoute de son crû, en intention, en mouvements, en effets mimiques de