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                               Mme   RISTORI.                  P"* 7 "   "   447
tous genres est prodigieux et témoigne de la richesse de sa nature ; il ne lui
suffit pas de bien dire, elle veut dire autrement qu'on a dit avant elle. En
même temps qu'elb; veut émouvoir, elle a l'ambition d'étonner, là est ion
originalité, mais là aussi est peut-être 1'écueil, surtout en face d'un parterre
français. Règle générale : le parterre français ne veut pas être étonné ; jouez
lui le même air, mais jouez-le mieux. Cet aphorisme quasi-politique ex-
plique bien des succès.
   Je reconnais que M me Ristori parvient à sauver tous ses effets, même les
plus osés, par la sincérité, la véhémence, unies à un vif sentiment de l'art.
Mais je me persuade toutefois que d'autres ne pourraient pas toujours se
les permettre impunément. M me Staël raconte qu'un acteur allemand pro-
duisait une sensation terrible en arrachant, pendant un récit qu'il écoutait,
les plumes de son chapeau. Mais les acteurs qui lui succédèrent eurent
beau imiter ce jeu de scène, les plumes tombaient à terre sans qu'on y fît
 attention. Il en serait probablement de même à l'égard de certains effets
trouvés par M me Ristori ; et je ne conseillerais, pour mon compte, à aucune
débutante d'essayer, par exemple, du tournoiement vertigineux auquel
Myrrha se livre quand elle se croit définitivement mariée à Perée.
   11 y a au théâtre, comme en toute chose, du reste, une mesure qu'il
faut remplir et non combler ; entre le trop et lo trop peu gît ce milieu diffi-
cile à atteindre et qui est, à proprement parler, le siège de la perfection ;
 maïs ce milieu n'a pas que l'épaisseur d'une ligne, comme une critique
étroite voudrait le faire croire : il est assez large pour que l'art de Racine
et celui de Shakespeare puissent s'y mouvoir, et M!'« Rachel y rencontrer
M me Ristori sans se combattre. La pureté des altitudes sculpturales n'est pas
à dédaigner, sans doute, mais prenons garde de vouloir paraître plus difficiles
et plus raffinés que les Grecs, nos maîtres en tout, qui n'allaient pas pour-
tant chercher que cette qualité au théâtre. Nous croyons même qu'ils ne
l'y cherchaient pas du tout. La profonde différence qui existe entre le cos-
 tume scénique et le costume adopté pas la statuaire et la peinture antique
 1G prouvent suffisamment. Les Anciens ne répugnaient pas non plus, autant
 qu'on, le pense, à l'expression véhémente et voisine de la réalité ; le Philoc-
 tète de Sophocle où fourmillent des vers remplis d'exclamations, de cris, de
 gémissements, des syllabes plaintives, atteste que pour eux le spectacle
 de la douleur, même physique, n'était pas incompatible avec l'art ; et
 nous doutons fort qu'ils eussent beaucoup prisé l'idée de faire de la tra-
 gédie une sorte de bas-relief animé, à la manière de M"e Rachel. C'est bon
 pour nous autres Français, qui demandons à la tragédie un plaisir archaï-
 que et littéraire, plutôt que l'émotion naïve et profonde. Aussi voyez