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256                              NÉCROLOGIE.
d'une loi inflexible. Il fallut renoncer à servir la justice au moment même
où une activité sans déclin et une expérience toujours croissante rendaient
ses services plus précieux. Ce fut un déchirement pour lui, raie perte pour
la magistrature , une affliction pour In cité, un regret pour le pouvoir, un
malheur pour la loi.
   Nul ne peut dire les angoisses d'une àme d'élite qui se voit frappée d'im-
puissance sociale, alors qu'elle se sent encore si pleine de vie. Mais la
sienne était trop ferme pour se laisser abattre, trop haute pour se plaindre,
trop généreuse pour s'isoler. I\ mit toute sa dignité à honorer sa retraite en
la fécondant. Il n'avait regreté de ses fonctions que le pouvoir de faire du
bien, il ne voulut se venger qu'en cherchant à en faire autrement.
   Il savait que les sciences et les lettres servent aussi la cause de l'hu-
manité. Il leur avait toujours fait une part dans sa laborieuse carrière, il
leur en consacra la fin. 11 n'en est pas de plus noble pour les grands es-
prits.
   Chacun s'empressa de concourir à une telle pensée ; ce fut un mouvement
unanime de protestation et d'hommage. Tout les corps savants voulurent
consoler, honorer cl utiliser tout ensemble cette puissante et infatigable
énergie. L'Académie lui déféra la présideuce ; plusieurs sociétés littéraires
suivirent cet exemple , et l'une d'elles alla jusqu'à déroger à sa règle , en
lui décernant la présidence perpétuelle.
   Mais rien n'est perpétuel ici-bas !...
   Et pourtant rien ne faisait pressentir la séparation. Il me semble qu'hier
encore , je le voyais animer nos séances avec cette vivacité de bon goût qui
paraissait inséparable de sa personne. Il était à la fois notre joie et notre
orgueil. Chacun l'aimait avec entraînement, et l'écoutait avec vénération.
Il était le premier par l'âge, il ne le cédait à personne par le mérite , et il
l'emportait sur tous par ce je ne sais quoi d'achevé qui participe de l'an-
cienneté et de la jeunesse, de la fraîcheur et delà maturité, delà force et de
la grâce, qui répand partout la suavité et le respect, imprime au vieillard
un caractère auguste et louchant, et semble faire luire sur sa tête les rayons
anticipés d'un monde meilleur.
   Le moment approchait. Ses forces s'affaissèrent tout à coup. Mais son
intelligence resta debout, les années l'avaient mûrie sans l'user , le temps
lui avait donné sa consécration et lui avait épargné ses ravages. Sa vie eut
un terme, elle ne connut pas de déclin ; et il put la regretter , car elle sem-
blait encore tout entière en lui échappant.
   Il n'appartenait qu'à la religion d'adoucir ces regrets; la religion •;ui divi-
nise la souffrance est le refuge de tous ceux qui souffrent, mais elle est