Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                   S58
avant l'âge, étranger aux affections qui pour d'autres embellissent
l'existence aux soins et aux devoirs qui pour d'autres ont de l'attrait
et du prix, je végète sur cette terre, peu jaloux d'y demeurer, sans
envie d'en sortir ; car ici bas, ni là-haut, je ne puis la rejoindre.
Plus à plaindre peut-être que cet homme sur lequel je pleurais il y a
peu d'instants encore, si je coule des jours moins sombres, je n'ai
pas, comme lui, l'espoir qui allège les douleurs,... mon exil est sans
terme. Ainsi je cherche la solitude, ainsi je vais aux lieux délaissés,
j'entre au cimetière, j'erre parmi les tombes, parcequ'à ces funè-
bres plaisirs je trouve encore quelque saveur; ma tristesse s'y nour-
rit, mes regrets s'y tempèrent, mes souvenirs s'y abreuvent, sans
compter cette sombre joie que goûtent les âmes désolées à contem-
pler les ravages de la mort et les plaies de l'humanité.
   Dans une jeunesse livrée sans frein à ses impétueux penchants,
j'avais connu le vice, mais non pas l'amour ; mon cœur était neuf
encore, lorsque m'apparut celle qui devait lui faire connaître le délire
de la plus ardente passion. J'aimai, j'adorai ; je connus l'ivresse des
serments, le doux leurre des promesses, la véhémence des trans-
ports. ... Mais que vais-je faire ? Raviver ma plaie, remuer ce trait
qui y demeure, la faire saigner encore         Non ; qu'il me suffise de
dire que j'avais pris soin, par mes désordres, de mefermerles voies
à une honnête union ; je n'avais ni le rang, ni la richesse avec les-
quels la morale et les préjugés composent ; ses parentsl'éloignèrent
de moi. Elle voulut lutter, garder sa foi ;... mais trop faible ou trop
peu éprise, elle la trahit et fut pour un autre. J'en reçus l'annonce
de sa main même; et dès le lendemain je quittai les lieux funestes
où mon amante m'était ravie.
   Il y a deux ans que la mort l'a frappée. Je suis revenu ; mais
étranger aux hommes et aux choses de mon pays, sans relations an-
ciennes et sans désir d'en former d'autres. Mon père était mort du-
rant mon absence, je recueillis la petite succession de ma mère ; et
tandis que j'aurais été disposé à fuir des proches parents, je n'avais
garde de m'enquérir de ceux dont j'ignorais jusqu'à l'existence.
J'en ai du regret. Si j'avais connu l'homme dont je n'ai appris l'his-
toire que sur sa tombe, j'eusse trouvé du charme à porter mes dou-
leurs auprès des siennes ; dans celte infortuné j'eusse rencontré peut-