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d'elle, malgré ses chagrins, et supportait avec tant de patience la
pétulance de mon jeure âge. Elle m'avait quelquefois parlé d'une
fille à elle, mais ne l'ayant jamais vue, ce vague souvenir était
presque entièrement sorti de ma mémoire.
   Aprèslamortdematante, j'entrai bientôt dans l'adolescence. Livré
aux jeux et aux compagnons de mon âge, j'avais d'autant moins d'oc-
casions de cultiver des relations de famille, que mon père, au milieu
du dérangement de ses affaires et de quelques dérèglements de con-
duite, les avait lui-même rompues et ne mettait aucun intérêt à me
les faire entretenir. Insensiblement j'étaisdevenu tout-à-fait étranger
à ma propre famille, lorsque, après une jeunesse orageuse, l'événe-
ment qui a décidé du reste de ma vie, contribua encore plus que
tout le reste à me faire perdre la trace des parents qui pouvaient
me rester alors.
   L'amour est toujours pour beaucoup dans notre destinée : il s'em-
pare du cœur au commencement de la vie, il l'embrase, le domine
et s'en joue comme le vent d'une feuille légère. Le jeune homme
livre ses beaux jours à ce maître perfide, il se donne à ce guide
aveugle, il entre à sa suite dans des sentiers dont les abords, tou-
jours aimables et fleuris, masquent des issues bien diverses. Blême
 pour les plus heureux, les fleurs vont se fanant, le ciel perd son
éclatant azur, la route, en se prolongeant, devient difficile ; mais
jusqu'au dernier terme ils ont eu des fruits à cueillir et à savourer;
à l'ivresse passagère ont succédé des biens moins brillants, mais
plus durables. Pour les autres!... que de déceptions, que d'amers
mécomptes, que de longs soupirs leur apprêtent ces courts moments
d'enivrants transports! Combien s'avancent, par ce sentier fleuri,
vers les bords ingrats, vers la grève désolée, vers l'affreux abîme !
Combien, sans même avoir goûté quelques instants d'une félicilé pure,
nesortent du trouble de la passion ou des angoisses de la jalousie, que
pour n'atteindre plus qu'à un calme sans douceur ! malheureux !
l'âme flétrie, le cœur épuisé, dépouillés, avant le temps, des illusions
qui eussent été longtemps encore leur partage et leur joie....
   C'est à ces derniers que j'appartiens. Comme une coupe remplie
d'un généreux breuvage, mon cœur s'est versé tout entier dans un
premier amour, il n'y est resté qu'une lie amère.... Ainsi, vieilli