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271 bien prévue, il ne tarda pas à la sentir : il la sentit doulou- reusement, il en souffrit profondément : c'est ce qui a pu faire dire à M. le ministre de l'instruction publique, dans le discours plein de sens, de délicatesse et de regrets, qu'il a prononcé sur sa tombe, ces mots simples et justes : « Dans cette épreuve de la vie publique, il obtint plus de considération que de bonheur. » Je ne veux point trop m'avancer dans ces tristes réflexions, je ne veux pas trop pénétrer là où je ne pourrais trouver que mystère et obscurité ; mais je ne puis toutefois m'empêcher de me demander si les émotions dont fut alors agitée cette âme fière, peu manifestées et sévèrement contenues au dehors, ne firent pas au dedans invasion et ra- vage, et ne portèrent pas dès ce moment, aux sièges essen- tiels de la vie, ces troubles et ces atteintes qui restèrent sans remède. Dieu seul le sait. Mais, quoiqu'il en soit, une longue épreuve attendait M. Jouffroy. Il y a six mois à peu près, au retour du court voyage qu'il fit dans ses chères montagnes, il parut languissant, affaibli, fréquemment pris de fièvre et de malaise ; trois mois après, il gardait le lit, et encore trois mois, il n'était plus. Et cepen- dant il voyait son mal, il le jugeait, je dirais même qu'il le le discutait; comme en une question de philosophie, il embar- rassait de sa nette et vive logique ceux qui ne pensaient pas ou feignaient de. ne pas penser comme lui ; il ne se rendait pas aux plus douces et aux plus pressantes consolations, parce que ce n'étaient pas des raisons ; il y souriait tristement, mais il n'y croyait pas, et, soit dans son langage muet, d'un coup d'oeil, d'un geste, soit quelquefois môme en paroles explicites et directes, il concluait toujours rigoureusement à quelque chose de funèbre. Je me souviens qu'un de ses derniers jours, comme je pensais lui avoir enfin produit quelqu'illusion, il me dit : « Mon ami, soyez sûr que je suis mal, très mal ; cela tient à différentes causes. » Use sentait donc mourir, et mou-