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bien prévue, il ne tarda pas à la sentir : il la sentit doulou-
reusement, il en souffrit profondément : c'est ce qui a pu
faire dire à M. le ministre de l'instruction publique, dans le
discours plein de sens, de délicatesse et de regrets, qu'il a
prononcé sur sa tombe, ces mots simples et justes : « Dans cette
épreuve de la vie publique, il obtint plus de considération
que de bonheur. » Je ne veux point trop m'avancer dans
ces tristes réflexions, je ne veux pas trop pénétrer là où je ne
pourrais trouver que mystère et obscurité ; mais je ne puis
toutefois m'empêcher de me demander si les émotions dont
fut alors agitée cette âme fière, peu manifestées et sévèrement
contenues au dehors, ne firent pas au dedans invasion et ra-
vage, et ne portèrent pas dès ce moment, aux sièges essen-
tiels de la vie, ces troubles et ces atteintes qui restèrent sans
remède. Dieu seul le sait. Mais, quoiqu'il en soit, une longue
épreuve attendait M. Jouffroy.
    Il y a six mois à peu près, au retour du court voyage qu'il
fit dans ses chères montagnes, il parut languissant, affaibli,
fréquemment pris de fièvre et de malaise ; trois mois après,
il gardait le lit, et encore trois mois, il n'était plus. Et cepen-
dant il voyait son mal, il le jugeait, je dirais même qu'il le
le discutait; comme en une question de philosophie, il embar-
rassait de sa nette et vive logique ceux qui ne pensaient pas
ou feignaient de. ne pas penser comme lui ; il ne se rendait
pas aux plus douces et aux plus pressantes consolations, parce
que ce n'étaient pas des raisons ; il y souriait tristement, mais
il n'y croyait pas, et, soit dans son langage muet, d'un coup
d'oeil, d'un geste, soit quelquefois môme en paroles explicites
et directes, il concluait toujours rigoureusement à quelque
chose de funèbre. Je me souviens qu'un de ses derniers jours,
comme je pensais lui avoir enfin produit quelqu'illusion, il me
dit : « Mon ami, soyez sûr que je suis mal, très mal ; cela
 tient à différentes causes. » Use sentait donc mourir, et mou-