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149 Certains auteurs, qui sont devenus des personnages d'une haute importance, n'ont pas dédaigné ce moyen. L'une des plus remarquables annihilations de propriété littéraire, c'est assurément celle qui s'est attaquée à la traduction du livre de Gibbon, traduction faite par le noble et infortuné Louis XVI, souslenomdeLeclercdeSeptchénes, son lecteur (1777, in-8°). M. Guizot ayant fait revoir par une main obligeante l'His- toire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, la publia en 1828, avec des notes puisées la plupart dans Tille- mont, dans Lebeau, dans Pagi, dans Eckhel, etc., et le nom du véritable traducteur ne figura plus sur le titre du livre ; on peut s'assurer qu'il n'est pas même mentionné dans la préface. On y parle de version revue, mais on en parle d'une manière qui laisse à peine entrevoir si le travail premier était de l'an- notateur ou de quelque autre, et maintenant, quoique la révi- sion se borne à des changements d'assez peu d'importance, on désigne le Gibbon de M. Guizot comme une œuvre qui serait tout—à -fait la sienne. Or, à quoi se réduit le rôle d'annota- teur ? N'y avail-il pas obligation de mettre sur le litre du livre le nom du véritable traducteur ? Nous pourrions signaler beaucoup d'autres plagiats, si ce n'est aussi graves, du moins fort singuliers, et dont le public est la dupe. Le plagiat littéraire prend diverses formes ; c'est dans l'éloignement des années qu'il va quelquefois chercher, et nous exciterons un exemple assez récent. En 1837 il parut, dansla collection du Panthéon, un volume de Monuments pri- mitifs de l'Eglise chrétienne. Plusieurs traités de Tertullien s'y trouvent en français. L'éditeur voulant sans doute avoir l'air de donner du tout neuf, indique quelques-uns de ces traités comme étant d'une traduction originale. Tel est celui de Y Habillement des Femmes, celui du Voile des Vierges, celui de l'Exhortation au martyre. Eh bien ! de ces trois ouvrages, les deux premiers ont été traduits par Hébert, au XVII e siè- cle, et le troisième l'a été par le P. Caubère, jésuite du XVIII e siècle. Pour ce qui regarde le traité du Manteau, l'un des ou- vrages les plus serrés et les plus curieux qui nous restent de Tertullien, il se trouve que le Panthéon littéraire lui a donné près de trois fois plus d'étendue qu'il n'en a. Nous avons vu des personnes que cela étonnait passablement, et qui ne pou- vaient s'en rendre compte. L'effronterie est jointe ici à une imperturbable ignorance. On a publié comme traduction ori- ginale ce qui n'est que la reproduction d'une paraphrase faite par un ceitain Tilreville, qui écrivait sous Louis X11I. Mais