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DE LA PIRATERIE LITTÉRAIRE. L'on a aujourd'hui un tel besoin de faire parler de soi, et de se transmettre tout vif à la postérité la plus reculée, que l'on cherche d'une manière ou de l'autre, quoiqu'advienne, à se faire un nom. II y a, pour arriver là , mille petits moyens, que le charlatanisme effronté et vulgaire de ce qu'on appelle les littérateurs ou les hommes de lettres, a su chercher et met- Ire utilement à profit. Je ne parle pas des personnes qui se font incorporer à toutes les académies de l'univers et de mille autres lieux, et qui appartiennent à une innombrable quantité de sociétés savantes, témoins ces diplôme* bien et dûment signés, scellés et contre-scellés, qui font l'embarras de certains héri- tiers. On a préparé, au XIX e siècle, une foule de voies faciles pour arriver à la renommée. Ce sont des réclames sans pu- deur, les complaisances de quelques feuilles, les volumes avec biographie par un ami, ou mieux encore, par l'auteur lui-même, et avec portrait du grand homme ; les annonces de magnifiques découvertes, au bout desquelles on ne voit rien venir ; enfin, une série de combinaisons d'un parfait industrialisme, qui va jusqu'à décourager les saltimbanques et les vendeurs d'orvié- tan. Nous avons connu certains poétereaux qui ne pouvaient passer dans une ville, ou sortir de leur coin, sans glisser dans la boîte d'un journal la petite note relative au déplacement du Pindare nouveau. Nous en avons su d'autres qui avaient labon- homie d'imprimer splendidement en tète de leurs élucubrations lyriques une collection de lettres, par lesquelles toutes les sommités littéraires du jour leur certifiaient l'entière subli- mité des susdites élucubrations. Quand on ne peut arriver assez vite, alors, pour abréger la route, on s'approprie les travaux des autres ; c'est la vieille histoire : Hos ego versiculos feci, tulit aller honores. Jefisces vers, un autre en eut tous les honneurs.