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326 L'ANE Sans doute le dernier chapitre donne tort à l'âne et pro- clame que le progrès de l'homme est un mystère inacces- sible ; mais dans les antithèses où se plaît le génie de Victor Hugo, le paradoxe est toujours développé avec tant d'en- thousiasme, de couleur, de musique et d'arguments à l'appui, que la vérité paraît obscure lorsqu'elle nous est enfin présentée en quatre vers, tous nus et assez souvent énigmatiques. L'impression qui se dégage de ce livre, c'est que cet âne n'est autre que certain poète romantique bien connu, aux idées plutôt ambiguës que profondes, au style mêlé de sublime et de trivialité, au langage pompeux et sonore, dont la prétendue science vous accable sous le poids des dictionnaires et des encyclopédies et qui, s'arro- geantsans cesse le titre de prêtre, n'a guère su tenir que le rôle de corybante. L'âne de Victor Hugo, c'est Victor Hugo lui-même. * ** Mais je serais ingrat de ne pas reconnaître qu'il m'a rendu service en faisant ce mauvais poème. S'il a choisi l'âne pour avocat, c'est que cet avocat avait une notoriété bien établie, une personnalité indiscutable, une histoire même qu'il a cru devoir résumer; sans cela il ne l'aurait pas chargé de défendre des théories qui certainement lui tenaient au cœur. Cette personnalité qu'il a laissée dans l'ombre pour lui substituer la sienne propre, tâchons de la dégager des œuvres que nous avons parcourues, en réunissant les è\ë< ments qui la composent : instinct de conservation dans la Bible; instinct des jouissances dans Lucien; dans Lafon- taine, lâcheté, vanité, maladresse, résignation mêlée d'un peu de révolte — toutes qualités inhérentes au faible et au