page suivante »
438 QUELQUES N O T E S * ** Je revenais un jour du Midi en troisième classe. A Vienne, il monte dans le compartiment deux ouvriers en longue blouse blanche, casquette aplatie. Ils portaient le dos un peu voûté. C'étaient deux ouvriers tapissiers de Paris qui allaient faire œuvre de leur état dans quelque château du voisinage. A moitié ivres, ils racontaient qu'ils avaient manqué trois fois le train. Ce n'était qu'à la qua- trième qu'ils étaient arrivés à temps. Cela avait le don de les faire rire énormément. Pour le surplus, se répandant en vulgaires et chétives blagues, avec cet accent. parisien prétentieux, qui veut être gouailleur, et qui exprime le plus haut contentement de soi-même qu'on puisse ima- giner. Et je me disais : Échantillon des « classes laborieuses » ! Arrivé à Lyon, je vais directement au café de Casati, où j'avais un rendez-vous. A une table voisine se trouvaient quelques jeunes gens, mis avec cette recherche qui, pour certains, est une des plus grandes préoccupations et une des plus grandes occupations de la vie. L'un d'eux, que je connaissais de vue, et qui eût été incapable de gagner cinq centimes par son travail ou de se livrer à quelque occupa- tion intellectuelle, neurasthénique invétéré, décrépit dans sa fleur, une sorte de fœtus blasé, disait avec négligence : « A Paris, il n'y a pas de tailleurs. Je suis obligé de me faire habiller chez Pool (à Londres). » Et je me disais : Échantillon de la jeunesse des « hautes classes » ! Cette société est vraiment pleine d'espérances.