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             DANS LES LITTÉRATURES CLASSIQUES               327

sacrifié; gros bon sens dans Don Quichotte ; vertus domes-
tiques dans Janin; insouciance dans Pierre Dupont : cela
ne constitue-t-il pas un tout qui ressemble beaucoup à ce
que l'on peut appeler la bête humaine?
   Sur ce mot je m'arrête, aussi bien nous ferait-il dévier
en attirant notre attention sur une oeuvre qui ne saurait
entrer dans le cadre de cette étude. Bien plus, elle semble
présager que jamais les ânes ne reparaîtront dans la litté-
rature. En effet, le compagnon des travaux de l'homme,
qui partageait ses souffrances, ses appétits, ses sentiments,
l'âne a été supplanté par la machine ; et tandis que l'âne
s'était humanisé, l'homme a une tendance à se mécaniser.
C'est à quoi tend la science, c'est surtout à quoi tend le
socialisme. Le jour où toute la société constituera un vaste
engrenage, dont chaque homme ne sera qu'un modeste
pignon, qu'arriverait-il, si l'un d'entre eux venait à s'arrêter
pour causer avec son âne ? Le mécanisme entier s'arrêterait
et le monde serait menacé de périr.
    Heureusement nous n'en sommes pas encore là ; l'indi-
 vidualité humaine saura, espérons-le, réagir contre la
 double tyrannie de la machine et du phalanstère, se souve-
 nant de la leçon d'indépendance que lui donna jadis son
 vieil et fidèle ami : « Notre ennemi, c'est notre maître. »
 Quoi qu'il en soit, l'alliance conclue entre l'homme et
 l'âne est de trop vieille date, pour pouvoir jamais se
 dissoudre. Longtemps encore, nous aurons dans les rues,
 sur les routes, dans les squares et les promenades, l'occa-
'sion de nous réjouir l'esprit, les yeux et les oreilles, en la
 compagnie de cet intelligent et sympathique quadrupède,
 qui, le jour où il ne sera plus nécessaire comme instru-
 ment de travail, continuera à faire la joie de nos heures de
délassement.
                                           Gabriel BLETOM.