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TACITE 297 les connaître? Etaient-ils si invisibles pour lui, quand leur nombre s'augmentait chaque jour, qu'ils envahis- saient le Sénat et pénétraient jusque dans le palais de Domitien? Comment, au milieu de cette corruption païenne qu'il savait si bien flétrir, ne distinguait-il pas ce qui faisait déjà la gloire des chrétiens, c'est-à -dire, la dignité de leurs mœurs, la chasteté de leurs femmes, la pudeur de leurs vierges? Il n'y avait pas jusqu'à cet amphithéâtre flavien où la persécution donnait leurs tourments en spectacle qui ne montrât, à tous les regards, comment ces ennemis du genre humain savaient souffrir sans murmurer, et mourir, le pardon sur les lèvres et le regard au Ciel! Mais non, Tacite ne paraît rien connaître de ces grandeurs morales, si nouvelles pour le monde idolâtre ; il aime mieux s'ea rapporter aux mensonges vulgaires qui défiguraient les disciples du Christ, et à ses yeux, les chrétiens ne sont que des scélérats dignes des derniers supplices, sontes et novissima exempla meritos (1). Voilà où en était Tacite à l'endroit de la religion. Ainsi, le scepticisme, d'une part, la haine aveugle contre le christianisme, de l'autre, conspiraient ensemble pour retenir ce grand esprit hors de la vérité. En présence d'un exemple si surprenant, on serait tenté de se demander à quoi servent, parfois, l'in- telligence et le génie, si saint Augustin ne nous apprenait que Dieu, qui n'a pas besoin des talents superbes pour l'édification de la cité céleste, les emploie à la décoration du siècle présent, ex Us ordinem sœculi prœsentis exor- nat (2). De là , l'expl'cation de certaines erreurs de Tacite. Mais revenons à l'historien. Le temps , qui a sévi si cruel- lement sur les classiques latins , n'a point épargné Tacite., tant s'en faut. Des seize livres dont se compo- (1) Ann 1, b. xv, c. xiiv. (2) Contra Julianum, a° U.