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TACITE 281 ne dirai pas de Suétone qu'il est un amateur déréglé de l'anecdote malsaine, mais je dirai'qu'il l'aime en érudit. C'est un chercheur de faits scabreux, comme le bibliomane est un chercheur de livres singuliers. Je descendrai plus bas dans la comparaison : C'est un laquais traître et malin qui écoute aux portes, épie ses maîtres, à travers les fentes de la muraille, pour les trouver en défaut, et qui, s'il a surpris quelque scène d'alcôve, s'empresse d'aller la raconter, à qui veut l'entendre, par le seul besoin de redire ce qu'il sait. Tacite n'a rien de commun avec ce genre vulgaire. C'est un observateur qui voit de haut et en grand. Sans doute, il ne détourne pas les yeux des anedoctes infâmes, car il en a besoin, lui aussi, pour faire connaître ses hideux per- sonnages, mais il ne les offre point pêle-mêle et dans leur brutalité, pour ne pas exciter le dégoût, en voulant inspirer l'horreur; il les trie au contraire, en dérobe ce qui froisserait le regard, et les place dans le tableau, au point de vue et avec la mesure qui conviennent à l'effet qu'il veut produire. C'est encore un juge qui instruit une procédure monstrueuse, mais qui, par respect pour la galerie, supprime les circonstances trop repoussantes du délit, et ne met en lumière que ce qui lui est nécessaire pour condamner le crime et faire triompher l'inno- cence Ceux qui confondent l'impassibilité avec l'impartialité ne manqueront pas de proclamer que Suétone est le plus impartial des historiens. Effectivement, cet homme assiste, sans sourciller, aux scènes les plus révoltantes ; il raconte les actions les plus abominables avec un sang-froid que rien ne trouble ; son front semble de marbre, son cœur, d'airain; et, s'il ne lui arrivait pas, de temps en temps, d'appeler les choses par leurs noms, c'est-à -dire, de pro- noncer les mots de crime, de monstre, et d'infamie, on pourrait bien croire qu'il n'y a en lui ni conscience,