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282 TACITE ni sentiment. Mais, ou je me trompe, ou l'impassibilité n'est pas plus l'impartialité que le mutisme n'est la dis- crétion, l'insensibilité, la patience. L'impartialité, c'est la justice appliquée à l'histoire, c'est la part faite aux acteurs des scènes 'du passé, c'est la louange et le blâme dispen- sés, non au gré des passions ou du caprice de l'homme, mais, d'après les règles de l'éternelle équité. En aucun cas, la vérité et l'erreur, le bien et le mal ne doivent être placés sur la même ligne. Si donc, l'impartialité est liée néces- sairement à la moralité humaine, il lui faut, pour s'affir- mer au dehors, du mouvement, de la voix, et, au besoin, des larmes, de la colère même. A ce prix, il est évident que l'impartialité n'est pas la qualité de Suétone, mais on peut dire qu'elle est, au plus haut degré, celle de Tacite. Je ne connais aucun h-istorien ancien ou moderne qui relève la victime et rabaisse le bourreau, comme Tacite. Chose remarquable! Dans ses jugements les plus sévères, vous ne surprenez rien qui ressemble à la passion ! tant cette énergique nature sait se contenir! Il éprouve de l'indignation, non de l'emportement. Son expression est vive, elle n'en garde pas moins le poids et la -mesure de la raison. L'horreur qu'il ressent pour la dissimulation de Tibère ne lui fait point oublier les rares talents de ce prince, et, il se permet parfois des justifica- tions inattendues, non qu'il ait souci de la réputation d'af- freux coupables, mais parce qu'il respecte la justice même envers ceux qui l'outragent. Ne sont-ce pas là les carac- tères de l'impartialité ? On a si souvent parlé des obscurités de Tacite que ce point est devenu proverbial. Il est convenu (et je ne vois là aucun sujet de critique) que l'historien de l'Empire ne se prête pas facilement à la traduction. A quoi tiennent ces obscurités' On ne l'a pas dit encore d'une manière juste et précise. Doit-on les attribuer à je ne sais quelle réserve diplomatique dont Tacite aurait contracté l'habitude dans