Revue du Lyonnais » série 3 - n°10 ( 1870 ) » pp.402

402                       BIBLIOGRAPHIE.

son petit livre, bien rempli, à une conclusion à peu près sem-
blable : le théâtre, la comédie moderne manquent d'idéal, ou
du moins l'idéal, rêvé par tous, entrevu par les uns, réalisé par
les autres, et parmi ceux-là, Aristophane, Térence,Lope de Vega,
Molière, l'idéal a changé. Ses conditions d'être ne sont plus les
mêmes, et cela, parce que les conditions sociales et politiques se
sont profondément modifiées. Si bien que l'idéal qui suffisait à
Molière pour ses comédies et dont il prenait autour de lui, dans
le monde où il les représentait, les traits principaux, devenu
suranné, improbable et faux, est à refaire de toutes pièces pour
répondre aux exigences d'un monde renouvelé,dans ses mœurs
et dans ses conventions sociales. Qui pourra jeter au moule un
type d'honnête homme, réunissant les qualités de l'homme an-
cien et celles de l'homme moderne, possédant la noble fierté de
l'indépendance sans en avoir la morgue et le sans-gêne, la net-
teté de conscience et de principes de l'homme de bien, sans rai-
 deur, sans puritanisme, sans déclamation , l'intelligence, l'ins-
truction, la largeur de vues sans fatuité, sans pédantisme, le
sens de la vie pratique sans terre à terre, celui de l'idéal sans la
fantaisie? « Le poète assez heureux pour réaliser cette concep-
tion sera plus qu'un poète, plus qu'un écrivain, ce sera un pro-
phète, un voyant. »
    Est-ce assez décourageant ? Comment, en pleine maturité du
XIXe siècle, dans ces productions multiples que chaque, année
voit éclore à la douzaine, à la grosse, il ne se trouvera pas un
 seul diamant? Parmi tous les auteurs, académiciens ou non, en
 renom ou en train de le devenir, en prose ou en vers, il ne s'est
 pas rencontré, il ne se rencontrera pas un poète ca.pable de
 créer l'idéal demandé? Jusques à quand Molière restera-t-il
l'heureux titulaire du grand prix de la comédie ? Car, si démodé
 qu'il soit aujourd'hui, Molière l'avait trouvé, à lui tout seul,
l'idéal son contemporain, et quels que soient les titres de Lesage
 et de Regnard, ils baissent pavillon devant leur illustre rival.
    Quel est donc cet idéal de Molière ? M. Flotard nous l'apprend
 dans un chapitre de son livre : l'idéal dans les comédies de
 Molière, l'idéal vraisemblable, possible, saisissant; visible, c'é-