page suivante »
162 LE BOUQUET FATAL. îl tomba à genoux et appuya ses lèvres contre ces mains ché- ries. Elles se complaisaient dans cette étreinte et ne se retiraient point. Soudain le jeane homme sentit une tiède ondée tomber sur sa main gauche, la main du cœur, celle que tenait Solange. Eperdu, il leva les yeux et la vit épSorée, sublime de douleur et de désespoir. Emporté alors par l'élan de la passion, il se prit à boire avi- dement les larmes qui mouillaient sa main. Madame de Vallouise retira la sienne, et s'éloignant un peu, se mit à contempler le spectacle de cet amour faisant explosion devant elle dans toute la chaste crudité d'un sentiment despoti- que et longtemps contenu. Elle chancela, fit quelques pas en arrière, puis en avant. Un violent combat semblait se livrer en elle. Rerny s'était relevé. Revenu de son délire, pâle et tout hale- tant, il avait laissé aller la main de Solange qui était retombée inerte le long de son corps. Ce fut alors que Mme de Vallouise s'avança lentement vers les deux enfants et les contempla avec une tendre attention. Puis, prenant leurs mains et les remettant l'une dans l'autre, elle leur dit d'une voix sourde mais pénétrante : — Vous vous aimez trop pour vous quitter. Le ciel a parlé ce soir ; je vous unis. Deux merci entrecoupés de sanglots furent la seule réponse des amoureux. Ils se jetèrent aux pieds de cette bonne mère et couvrirent ses mains de uaisers et de larmes. L'étoile du berger brillait toujours et la fauvette ne chantait plus. Mais sur le lac aux reflets argentés, le long de la terrasse, passait au même moment une barque chargée de chanteurs. Ils soupiraient mezza voce une barcarolle harmonieuse toule frissonnante de langueur et de volupté. Les voix en sourdine berçaient l'âme des auditeurs dans un rêve aérien, et l'on eût dit d'une fête vénitienne venue du Liddo sur le bord d'un lac gaulois. Longtemps la tiède brise apporta les notes expirantes et longtemps aussi se prolongea l'extase céleste des deux amants.